Junichi Masuda : Pokémon n'a jamais visé explicitement les enfants
Junichi Masuda, tu le connais. Principale figure publique de Pokémon depuis plusieurs années, il a dirigé le développement de tous les opus majeurs de la série depuis Rubis et Saphir.
Néanmoins, pour Rubis Oméga et Saphir Alpha, l'homme a légué sa place de directeur de jeu à Shigeru Ohmori, que nous avions d'ailleurs croisé à Paris tout récemment.
Loin d'être un néophyte, Ohmori est un des Game Designer principaux de Game Freak depuis Rubis et Saphir.
Moins d'un mois après la sortie de ROSA, le site internet du magazine londonien Wired UK a réuni les deux hommes pour une interview plutôt intéressante.
Au programme : le parcours de Masuda et Ohmori dans l'histoire de la licence Pokémon, l'effet et l'influence des nouvelles technologies de communication sur les jeux de la saga, la prise en compte du public adulte, l'influence de la scène compétitive dite "stratégique" sur le développement des jeux et enfin l'avenir de la saga.
Pokémon Trash vous propose ici une traduction intégrale de l'article original de Wired.co.uk, pour une interview qui remonte aux origines de la saga.
Junichi Masuda est un membre fondateur de Game Freak, studio développeur de Pokémon. Il a travaillé sur la musique des premiers jeux Rouge et Bleu avant d'endosser le rôle de directeur sur Rubis et Saphir. Shigeru Ohmori est son successeur de choix en tant que directeur de Rubis Oméga et Saphir Alpha, modernisant les jeux de 2003 pour la 3DS.
WIRED.co.uk s'entretient avec les deux hommes à propos de leur implication dans la franchise Pokémon, du moment ou la série a failli mourir, et de comment les technologies de communication actuelles poussent la série en avant.
WIRED.co.uk : Masuda-san, vous avez débuté en tant que compositeur sur Pokémon Rouge et Bleu. À l'époque, vous attendiez-vous ou aspiriez-vous déjà à atteindre votre position actuelle de superviseur principal de la licence Pokémon ?
Masuda
Plutôt que désireux d'être directeur, il y eut un moment autour de Or et Argent où je travaillais sur un autre projet. J'ai été ramené sur Or et Argent car ils ne progressaient pas aussi bien que nous l'avions espéré. La région dans ces jeux était basée sur Kyoto ; afin de pousser cela nous sommes allés à Kyoto et y avons fait des recherches pour finaliser le jeu. Moins qu'un désir de devenir directeur, je voulais que ces jeux soient un succès et avais plutôt l'intention d'apporter un certain style et une manière de jouer aux joueurs.
Quand vous avez pris vos responsabilités en tant que directeur du jeu, quel était la principale idée que vous vouliez ajouter ou changer dans la série ?
Masuda
À l'époque de Rubis et Saphir, nous savions que Or et Argent s'en étaient très bien sortis mais il y avait alors une rumeur disant que Pokémon était dans une phase de déclin voire même était fini. C'est le contexte dans lequel nous avons développé Rubis et Saphir. Mon plus grand désir à l'époque était que la série ne s'arrête pas ! Je voulais apporter quelques éléments de jeu qui n'avaient alors jamais été vus et faire de supers jeux avec l'autre équipe.
Rubis et Saphir étaient-ils des jeux très personnels pour vous ? J'ai cru comprendre qu'un des personnages a été nommé d'après votre fille.
Masuda
Oui. La région de Rubis et Saphir était inspirée de Kyushu – c'est dû au fait que j'y passais mes vacances avec mes grands-parents quand j'étais à l'école primaire. Je prenais un train rapide d'environ sept heures pour Kyushu, je jouais sur la plage, j'y plongeais ou j'allais simplement dans la forêt attraper des insectes. C'était un environnement très riche avec plein d'animaux ; ce sont mes souvenirs les plus marquants de cette époque.
Kyushu est très personnel pour moi et c'était le thème principal derrière Rubis et Saphir. Le nom de la région, Hoenn, vient de deux caractères Japonais – 'Ho' signifie abondant et généreux, 'enn' signifie lien ou relation. C'était un jeu très important pour moi.
Vous avez légué le rôle de directeur à Ohmori-san pour Rubis Oméga et Saphir Alpha. Était-ce parce que vous ne vouliez pas le rendosser, ou pensiez-vous qu'une vision différente était nécessaire ?
Masuda
Au moment du neuvième anniversaire de Rubis et Saphir, il y avait une forte demande pour des remakes et beaucoup d'idées sur comment nous pourrions rendre cela intéressant. Je voulais quelqu'un qui avait une forte connexion avec Rubis et Saphir pour diriger l'équipe. Dans ce contexte, il n'y avait que Shigeru Ohmori comme candidat. Donc pour le dixième anniversaire, j'ai emmené Ohmori-san à dîner et lui ai demandé d'être le directeur.
Et Ohmori-san, comment avez-vous réagi ?
Ohmori
C'était une grande surprise, mais j'étais très très heureux. Au moment de cette demande nous étions toujours au moment du développement de Pokémon X et Y. Au niveau du timing, c'était très compliqué lorsqu'on m'a demandé d'être directeur. Mais Rubis et Saphir étaient les premiers jeux sur lesquels j'ai réellement travaillé [en tant que game designer et map designer], donc j'ai beaucoup de souvenirs marquants.
J'étais très heureux mais c'était en même temps très difficile car en plein milieu du développement de X et Y, c'était comme un projet additionnel pour un seul homme, de réfléchir à des façons de refaire et d'améliorer Rubis et Saphir.
La promotion du Pass Éon est de retour comme à l'époque de Rubis et Saphir, mais cette fois via une distribution StreetPass. Quelle est l'idée derrière ce changement ?
Masuda
Nous pensions que cela serait plus intéressant et plus excitant s'il y avait une nouvelle manière qu'il se retrouve dans les mains de chaque joueur. Le distribuer simplement sur chaque console [via internet] n'est pas aussi excitant car c'est très facile. Avec StreetPass, vous pouvez l'obtenir grâce à des personnes que vous n'aviez jamais rencontré. Ça devient directement plus local. Vous pourriez aller dans une autre ville et obtenir quelque chose que vous n'avez pas encore. Cela crée une conversation et c'est simplement une méthode de distribution plus intéressante.
Et en ce qui concerne les personnes qui ne vivent pas dans une zone très peuplée, ou qui ne peuvent pas voyager dans l'espoir de croiser quelqu'un pour obtenir le ticket ?
Ohmori
Une chose essentielle dans un jeu Pokémon est l'échange de Pokémon et la connexion entre les gens. Nous voulons créer l'opportunité pour les joueurs de se rencontrer et de devenir amis. Plus que tout, nous aimerions créer encore plus d'opportunités de ce type.
L'introduction dans la série du Global Trade System (GTS) ne réduit-elle pas la motivation des joueurs à se rencontrer en personne ? Quand on peut simplement déposer son Pokémon en ligne, pourquoi vouloir se rencontrer à l'extérieur ?
Masuda
Je pense qu'au niveau de la communication locale, peu de choses ont changé. Nous aimons à penser que les fonctions comme la Global Trade Station servent en fait à des personnes qui n'auraient pas pu récupérer ces objets dans chaque partie du monde, en faisant plutôt une communauté d'échange plus globale.
Ohmori
Prenons un exemple. Par le passé, les enfants pouvaient seulement échanger des Pokémon avec leurs camarades de classe. Avec la technologie sans fil, même au niveau local, la possibilité d'échanger avec plus de personnes dans d'autres âges ou d'autres classes est développée. Au final, ça augmente simplement le nombre d'opportunités.
Quand avez-vous réalisé que Pokémon était un jeu auquel les gens continueraient à jouer jusqu'à l'âge adulte ?
Masuda
Quand nous avons développé Rouge et Bleu, nous ne visions pas explicitement les enfants. Si vous regardez le dessin animé, par exemple, il était conçu pour attirer les enfants avec des designs mignons, etc. Mais si vous regardez le jeu et son design, même depuis Rouge et Bleu il était conçu pour être un jeu que les adultes pourraient aussi apprécier. Dans ce sens, il n'y a eu aucun changement dans notre manière de concevoir les jeux.
Tout comme les enfants et les adultes aiment jouer au football –les enfants peuvent aimer au début simplement parce que la balle est ronde et colorée, mais les adultes y mettent bien plus de réflexion.
Comment équilibrez-vous le public adulte et le public enfant ?
Masuda
C'est très difficile. Dans le cas de Rubis Oméga et Saphir Alpha, ce sont des remakes d'un ancien jeu et nous voulons que les joueurs plus âgés puissent l'apprécier, pas juste les nouveaux joueurs. Donc, comment produisons-nous du nouveau contenu pour garder leur intérêt ? Par exemple dans X et Y nous avons introduit les Méga-Évolutions, donc dans ROSA nous avons poussé cela un peu plus loin, creusé un peu plus profondément.
Nous voulions emmener cette histoire plus loin, mais c'est très difficile dans l'optique de créer du contenu intéressant qui captive un enfant. Mais nous avons mis beaucoup d'effort afin de créer quelque chose dont chaque public puisse profiter.
Les joueurs « hardcore » de Pokémon sont conscients de l'existence des statistiques cachées des créatures –les EV et les IV. Pourquoi les garder cachées au lieu de laisser les joueurs les voir ?
Ohmori
Chaque Pokémon a effectivement des valeurs, mais je ne considère pas ces données comme des paramètres. Je préfère les considérer comme des véritables créatures, vivantes. De la même manière que si vous avez un animal et que quelqu'un possède la même race de chien, c'est un chien différent. Ainsi chacun pourra jouer au jeu et mon Pokémon sera toujours différent de votre Pokémon, même si ils sont de la même espèce.
Une comparaison serait de regarder une fiche de données sur différents chiens et de pouvoir choisir les données de chaque chien, et de décider lequel vous voulez en se basant sur ces données– ça serait inhumain.
Quand vous ajoutez de nouveaux Pokémon dans les jeux, comment les concevez-vous ?
Masuda
Quand on considère la conception d'un Pokémon dans le contexte de X et Y, beaucoup ont été introduits pour un usage dans les compétitions mondiales ou des combats classés en ligne. Il doit y avoir des Pokémon que les gens voudront utiliser dans leur équipe, donc il y a beaucoup de discussions avec les équipes des combats techniques mais aussi avec les équipes graphiques.
Il peut aussi y avoir des discussions concernant les Pokémon et leur apparence – peut-être a-t-il des griffes, donc nous nous concentrons sur cela pour ses attaques. Enfin, nous prenons la réaction des fans en considération – si nous faisons méga-évoluer ce Pokémon, les fans peuvent être vraiment heureux ou surpris. Donc chaque Pokémon a son propre processus créatif.
Comment voyez-vous le futur de la franchise ? De nouveaux remakes comme ROSA ? Plus de jeux originaux comme X et Y ?
Masuda
Quand vous considérez les nouvelles technologies qui évoluent sans cesse – par exemple, passer du câble link aux communications mondiales – ce qui ne changera pas selon moi est notre volonté pour l'expérience de jeu d'être non seulement en jeu mais également à l'extérieur. Cela ne changera certainement pas. Quoi qu'il arrive, nous nous lancerons toujours le défi d'influencer cela et de trouver de nouvelles façons d'introduire des Pokémon ou de les échanger. Il y aura toujours le défi de faire évoluer la série en accord avec les évolutions technologiques.
C'est sur ces mots que Masuda clôt l'interview.
Vous noterez qu'il ne répond pas à la question posée, préférant esquiver la question de la nature des prochains jeux pour expliquer que remakes ou pas, Pokémon se réinvente à chaque opus en suivant l'évolution technologique.
Doit-on en déduire que les éventuels remakes de Diamant et Perle pourraient arriver plus tôt que prévu ?
Y aura-t-il un jeu majeur pour la série en 2015 ? C'est loin d'être une constante, la moyenne d'attente étant d'environ deux ans entre chaque jeu Pokémon, même si le rythme s'est fortement accéléré depuis Noir 2 et Blanc 2.
Masuda explicite en tout cas un point crucial : la série de jeux Pokémon n'a jamais été explicitement adressée aux enfants, et a toujours été conçue pour pouvoir être appréciée des adultes.
Même si les scénarios récents se veulent plus poussés et les thèmes plus matures, on sent pourtant une certaine édulcoration des dialogues en comparaison de l'époque Game Boy où les rivaux hargneux ne tarissaient pas de "nabot" et autres "minable" pour désigner le joueur.
Pensez-vous que la série n'a vraiment pas changée d'approche depuis ses débuts maladroits ?
Masuda se veut rassurant : "concernant l'équilibrage entre le public enfant et adulte, il n'y a eu aucun changement dans notre manière de concevoir les jeux".
Depuis les échanges de cartes et de Pokémon par câble Link dans la cour de récré jusqu'aux 3DS dans les amphithéâtres des universités, Pokémon a bel et bien marqué une génération entière et fidélisé toute une franche de joueurs passionnés jusqu'à l'âge adulte.
Eh oui. Pokémon, c'est aussi pour les grands.
finalement le meilleur moyen d'essayer d'atteindre des sommets a pokemon c'est d'aller te jeter du au de l'everest avec ta console ......