[Fiction] Angel School

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Phénix

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01 juin 2012, 15:13
Chapitre 1
Une cloison blanche, une porte bleue, une cloison blanche, une porte bleue ... La monotonie des lieux était telle que toute activité y était quasiment prévisible, ce qui rendait le climat d'autant plus insalubre. La plupart des hôpitaux psychiatriques avaient pour objectif d'aider leurs patients à se rétablir pour qu'ils puissent s'y réintégrer, mais la Clinique des Songes Bleus avait dans cette perspective une méthode à nulle autre égale se basant sur une continuité interminable dans les faits et gestes pour imposer à l'esprit un nouveau cadre dans lequel seule la soumission était une issue plausible, quand la situation ne s'aggravait pas. Ce système de fonctionnement portait malgré tout ses fruits, puisque la plupart des esprits finissaient au bout d'un moment par perdre leur résistance, aussi les patients entrant à l'intérieur de ces murs étaient de toute catégorie : divorcés récents n'ayant pu supporter la séparation, employés à bout qui ne parvenaient plus à s'adapter à leur situation, dépressifs chroniques. Au fond, la meilleure arme de tout ce système était la peur inspirée par celui-ci, il n'y avait au fond pas d'autre endroit au monde où la séparation entre prison et hôpital psychiatrique était aussi infime. Mais contrairement aux prisons qui finissaient toujours surchargées et en manque de moyens de nos jours, la Clinique des Songes Bleus avait vraiment des frais limités, notamment parce qu'on investissait seulement dans de la nourriture et des calmants. Nul besoin d'un véritable confort, pas besoin de systèmes de soin innovants et extrêmement sophistiqués, non, rien de tout cela. Les choses étaient calculées pour être d'une simplicité déconcertante : soit vous vous soumettiez de bon gré et intégriez la norme qu'on voulait vous imposer, soit on vous gardait jusqu'à ce que vous choisissiez la première chose. Et c'était naturellement une cause perdue d'avance que d'essayer de s'enfuir : l'apparence très épurée de l'intérieur combinée à une réelle complexité de la structure neutralisaient à elles seules la quasi totalité des tentatives d'évasion.

Toutes les structures psychiatriques avaient néanmoins le malheur de tomber sur un individu se révélant forcément plus coriace que le système, et c'est sur celui-ci que nous allons nous attarder. C'était un adolescent au teint assez pâle puisqu'il ne voyait que rarement la lumière du jour, passant la majorité de son temps de sa cellule, et quand il en sortait, c'était uniquement aux rares moments où on laissait les détenus passer un peu de temps à l'air libre, ses yeux vert pouvant alors profiter du mieux qu'ils pouvaient de la lumière du jour. Au niveau physique, il disposait somme toute d'une taille assez élevée, dépassant de peu les cent quatre-vingt centimètres, bien que sa musculature ne soit particulièrement élevée, vu qu'il n'avait pas vraiment l'occasion de s'entraîner sur ce point, mais de toute façon, l'exercice physique ne l'attirait pas de manière générale. Ayant atteint l'âge de dix-sept ans, il avait néanmoins passé le tiers de son existence à l'intérieur de ces murs, ce qui en faisait un phénomène de foire dans son genre. La plupart des enfants humains étaient pourtant réputés pour leur grande flexibilité cérébrale, et les rares fois où ils venaient en ces murs, c'était le plus souvent pour en repartir quelques mois après, l'épreuve de se retrouver coupé de force du monde étant le plus souvent suffisante pour vous faire rentrer dans le rang. Lui, ou plutôt Val comme on le surnommait parmi les pensionnaires, utilisait davantage cette flexibilité pour s'adapter à son adversaire. La faille de la politique employée par cet établissement se trouvait dans le fait qu'on avait toujours affaire à une seule personne à la fois, le but étant d'assurer la continuité toujours recherchée. Le problème était que dans chaque individualité se trouvait également des failles qui ne seraient pas apparues dans une situation collective, et Val avait toujours considéré comme un jeu le fait de trouver ces failles afin de se débarrasser du malheureux qui avait été engagé pour "l'affronter" comme on disait dans le jargon. Il y avait eu près d'une vingtaine de psychologues, pourtant très bien formés au regard de leur profession, qui avaient fini par rejoindre le camp des patients après s'être cassé les dents sur le cas de "Val". Ce qui commençait à irriter sérieusement les dirigeants de l'hôpital, qui devaient désormais rentrer dans leurs comptes des dépenses dans le but de camoufler autant que possible l'affaire et qu'ils avaient de plus en plus de mal à justifier, la réputation des lieux en étant au moins aussi importante que son efficacité, car faisant au fond partie intégrante de cette dernière.

Val avait ainsi à un sermon mensuel avec le professeur Azenkov, russe de son état et accessoirement directeur de l'établissement, concernant son éternel problème comme quoi il avait beau être excellent en mathématiques et autres disciplines théoriques, il ne restait pas moins faible en logique faible en matière de logique sociale, ce à quoi Val répondait toujours de manière cynique en racontant ses performances avec ses docteurs, ce qui avait le don d'irriter Azenkov plus qu'autre chose. Et comme nous l'avions dit plus tôt, la résistance psychique d'un être humain possède immanquablement des limites, et c'est en vertu de ce principe que le vieux professeur décida de convoquer un jour le "jeune délinquant pathologique" comme il l'appelait personnellement, pour lui exposer une idée jusqu'alors inédite.
Val arriva ainsi de manière relativement étonnée dans le bureau du directeur :
"Vous êtes bien étrange, professeur, de casser ainsi mon rythme de sommeil, je croyais que la continuité était au centre des lieux.
"Je sais, je sais", répliqua Azenkov, "mais là, une idée vraiment importante vient de me traverser l'esprit et je tenais à vous en faire part."
"Et pourquoi m'appeler moi, alors? Vous avez suffisamment de collègues auprès de qui partager vos illuminations, non?"
"Parce que vous êtes concernés par l'idée, bien évidemment."
"Attendez, laissez-moi deviner, vous avez encore trouvé une expérience ultime et si jamais je finis par remporter l'épreuve, je gagne ma liberté ..."
"Exactement."
Le jeune adolescent haussa un sourcil pour marquer son étonnement, ce qui était déjà beaucoup venant de sa part.
"Je vous demande pardon?"
"Ne faites pas semblant de ne pas m'avoir compris, votre sourcil a très bien parlé pour vous."
"Excusez-moi, mais le coup de "ma liberté en échange d'une expérience", vous me l'avez déjà servi une bonne dizaine de fois, et pourtant je suis toujours là."
"C'est pour ça qu'on va faire quelque chose de vraiment inédit pour une fois."
"Du genre "me mettre dans un environnement réel pour me tester"?"
"Dans les grandes lignes, c'est à peu près ça."
"Continuez."
Satisfait de l'effet produit sur le jeune, Azenkov décida de poursuivre son exposé.
"Si je provoque le nom d'Angel School, ça évoque quoi à vos oreilles?"
"Cet établissement scolaire près de Tokyo destiné à accueillir les petits génies du monde entier qui provoque chez moi des crises de rire à chaque fois que j'en entends parler?"
"Plus ou moins ..."
"Comment ça, plus ou moins?"
"Parce que je vous y envoie, tout simplement."
"De quoi?"
"Arrêtez donc de faire l'idiot deux minutes, je crois que mon antipathie envers vous augmente encore plus lorsque vous essayez de me prendre pour un imbécile."
"Réaction à peu près normale, mais vous comptez sérieusement m'envoyer là-bas?"
"Oui."
"Et pour faire quoi?"
"L'expérience est assez bête : vous passez un an là-bas et si vous arrivez à tenir jusqu'à la fin de l'année, vous êtes libres."
"Où est l'arnaque?"
"A votre avis?"
"Je ne sais pas, c'est pour ça que je vous pose la question ..."
"Eh bien, parfait, ça rendra les choses plus amusantes à votre sens, à mon avis."
"Donc, en gros, vous m'envoyez un an à Tokyo avec comme seul objectif de parvenir à y rester un an?"
"Non, avant, vous allez passer quelques mois à apprendre le japonais ici, en Amérique ...
"C'est vrai que ça serait utile. Mais sinon, qu'est-ce qui me prouve que vous allez tenir parole?"
"Après votre départ, le protocole exige de vous mettre sur la liste des "personnes en déplacement". Si au bout d'un an, vous n'êtes pas revenus, vous resterez définitivement sur cette liste, avec les conséquences que ça a."
"En gros, vous arrêtez de me suivre officiellement?"
"C'est ça."
"Vous êtes sûrs que vous n'avez rien à me dire sur cette école?"
"Allez, soyons un peu sincère pour une fois", répondit Azenkov avec un léger sourire sur les lèvres, "je vais juste me contenter d'énoncer la différence fondamentale entre cette expérience et tout ce que vous avez connu jusque-là : avant, c'était du un-contre-un."
"Très bien. Alors, marché conclu."
"Parfait. Je vous sers quelque chose?"
"Un bon verre d'eau serait parfait pour moi ..."

Ceci est une histoire qui me trottait dans la tête depuis assez longtemps, et Dieu seul sait si un jour, je parviendrais à coucher entièrement sur le papier tout ce que j'avais en tête. Quoi que ce soit, c'est toujours utile de mettre des mots là-dessus, ça permet de se soulager l'esprit, et autant vous en faire profiter.
« Modifié: 26 janvier 2013, 01:25 par Vilgrav-Klaus »

Kiritto

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01 juin 2012, 16:37
Oh c'est cool! J'ai envie de savoir la suite maintenant (je dis pas ça pour te mettre la pression hein ;))

Juste une chose, je trouve que la dernière phrase du 2éme paragraphe est un peu trop longue...

En tout cas c'est accrocheur.

Phénix

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08 juin 2012, 15:33
Chapitre 2
Cela faisait déjà trois mois que Val faisait son apprentissage dans le Centre Linguistique de San Francisco, et pourtant il avait l'impression d'avoir passé largement plus de temps dans les faits. Il fallait admettre que le climat n'était pas particulièrement conciliant en cette saison, notamment à cause des bourrasques qui balayaient la baie et ne faisaient qu'aggraver les écarts de température. La rentrée scolaire japonaise se déroulant en avril, et la formation linguistique se déroulant nécessairement avant le premier pas posé sur le territoire nippon pour éviter les débordements, les cours se faisaient donc pendant l'hiver, et le climat local étant de type méditerrannéen, le froid était en fait la règle qui faisait cours en cette saison. Cependant, Val n'était pas complètement dérangé par l'extérieur, non pas parce qu'il passait son temps à l'intérieur des bâtiments (bien que ça ait nécessairement une incidence dans le résultat), mais qu'il était complètement pris dans ses études du japonais. Cela contenait en effet deux alphabets différents à mémoriser et à savoir calligraphier correctement, sans compter la liste des kanjis élémentaires à apprendre, les règles de grammaire et quelques usages culturels, ce qui représentait un véritable défi en soi. C'était d'ailleurs ce qui intéressait particulièrement Val, son attraction pour les défis intellectuels étant un passe-temps mais surtout un mode de vie complet à lui seul, même si les enseignants n'étaient pas non plus conciliants. Entre le grammariste très strict et l'assistante venant d'Osaka mais ayant un accent assez particulier, il n'y avait pas vraiment d'alternative. Mais au moins, il n'y avait pas de réel problème, chacun faisait son travail et les contacts usuels lors des repas étaient suffisants pour entretenir un semblant de vie sociale dans ces lieux.

La cantine du Centre était également appréciable en soi, ses chefs étant de diverses origines, cela permettait d'obtenir chaque jour des menus très variés, ce qui était une véritable aubaine d'un point de vue culinaire, à tel point que Val avait peu à peu sympathisés avec les personnes du comptoir, ce qui représentait un évènement exceptionnel en soi. Et en plus, les différents élèves présents permettaient des échanges sur des domaines particulièrement variés, allant de la littérature à l'informatique en passant par la biologie, ce qui permettait des conversations d'une variété incroyable.
Ce jour-là, le sujet était un mélange entre des mathématiques et de la biologie, ce qui aboutissait souvent à des mini-débats fascinants.
"Cuando te digo que la mathématisation des médicaments relève de la plus grosse absurdité historique, démarra Miguel, ce n'est pas juste pour t'insulter, il n'y a que l'expérience qui soit véritablement efficace dans ce domaine ..."
"Et tu veux faire comment pour mettre au point de nouvelles formules sans des mathématiques, inconscient? répliqua Armelle. Sans les mathématiques, la pharmacie n'avait jamais fait autant de progrès ..."
"Ouais, mais en attendant, vous avancez de plus en plus lentement sin resultados. Et puis, ce n'est pas comme si vos médicaments théoriques marchaient dans la pratique ..."
"Je te demande pardon?"
"Tout le monde sait que seul un médicament expérimental sur 20 passe la parte de los paclebos ... ça prouve bien les limites de vos maths dans ce domaine, non?"
"On n'a pas non plus de sujets uniformes pour nos expériences."
"C'est normal, la nature est TODO pero no uniformidad ..."
Ce genre de discussion aurait certainement pu continuer pendant des heures si le point de ras-le-bol venant de ceux qui écoutaient n'arrivait pas assez rapidement, ce qui permettait alors de revenir à des sujets bien plus actuels ou pratiques ...
"Bref, acheva Miguel, on va arrêter les tonterias pour aujourd'hui, no sirven a nada."
"J'admets également que le débat ne progressera pas, approuva également Armelle. Par contre, si tu pouvais éviter de rajouter des morceaux d'espagnol à chaque fois que tu parles, ça serait mieux."
"Me escucha, mais c'est pour ça que je suis ici, pour améliorer mi inglès avant de partir en Inde."
"Tu vas faire quoi là-bas?"
"Il y a des laboratoires de bioengénierie fabulosos là-bas, ça m'attire pour mon boulot. Et toi?"
"Je continue d'étudier le chinois pour ensuite aller enseigner les maths, là-bas."
"Et pour toi, gringo, ajouta Miguel en direction de Val, ça avance ton japonais?"
"C'est assez complexe à apprendre et il n'y a pas beaucoup de temps donc ..."
"Ouais, ça se comprend, tu galères, déduisit Armelle, mais tu vas faire quoi là-bas sérieusement?"
"Ben, ils voulaient se débarrasser de moi à la clinique, donc ils m'envoient au Japon ..."
"Hé hé hé", se moqua une élève assise à la table d'à côté, "ils ont de l'humour aux Songes Bleus, ils ont un cas résistant alors ils refilent aux médecins japonais ..."
"Ouais, mais ça ne servira à rien sur un abruti de son genre", rajouta une autre élève ...
"Je te demande pardon?" répliqua Val.
"Ne fais pas l'innocent", rajouta l'élève en haussant pour que toute la salle entende,"on sait tous pour ta réputation, nigaud. Val, le gamin qui a résisté six ans aux méthodes de la Clinique des Songes Bleus et qui prétend se faire soigner au Japon ..."
L'injonction fit rire nombre de personnes dans la salle.
"Laisse tomber, vieux, indiqua Miguel, cette idiota essaie juste de se faire remarquer ..."
"Bof, ça ne me dérange pas, ce n'est pas s'ils m'envoyaient dans un autre hôpital psychiatrique ..."
"Et ils t'envoient où, le psycho? recommença la précédente. "A Hokkaido cultiver les rizières?"
Val marqua une pause suffisante pour attirer l'attention.
"Non, à Angel School."

L'effet obtenu fut bien au-delà des attentes du jeune homme, le silence causé par sa réponse était tel qu'aucune conversation ne parvenait à reprendre tant l'annonce avait choqué.
"En ... en serio?" demanda Miguel à moitié abasourdi.
"Yep, c'est un pari avec ce vieux Azenkov. Un an passé là-bas et si je gagne, je suis libre."
"Ouais, ça se comprend, envoyer quelqu'un dans une école de ce genre pour calmer les égos, ça se comprendrait ..."
"Personalmente no quiero ir en este escuela, répliqua Miguel, pas avec les rumeurs qui traînent ..."
"Ben pourquoi?" s'étonna Armelle. "Si tu arrives là-bas, c'est le top, non?"
"C'est peut-être el lugar perfecto para estudiar, mais il y a eu de nombreux problemas là-bas au cours des vingt dernières années ..."
"Et c'est qui qui t'as raconté ça?" demanda Val.
"Mon oncle est recteur général au Mexique, c'est lui qui m'a raconté cette histoire une fois, d'ailleurs il s'en est voulu après d'en avoir parlé ..."
"Mais tu ne sais rien d'autre?"
"Non. Par contre, et je ne te dis pas ça pour rire, mais fais vraiment attention en mettant les pieds là-bas, tu es peut-être un génie dans ton genre, mais là, ce ne sera pas des gars "normaux" non plus."
"C'est noté. Bon, je vous laisse, j'ai un cours qui continue."
"Eh, Val ..."
"Quoi, Miguel?"
"Garde toujours mon numéro de portable, je t'appellerais si j'ai du nouveau, mais là-bas, c'est vraiment un otro mundo ..."
Nouveau chapitre pour ceux que ça intéresse.
« Modifié: 08 juin 2012, 21:01 par Phénix »

Theris

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11 juin 2012, 09:22
Je lirai plus tard, mais au premier coup d'oeil, ce serais sympa d'aérer en plus de paragraphes.

Vilgrav-Klaus

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22 janvier 2013, 19:46
J'up cette fiction dans ma dynamique de réhabilitation de la section. Mais pas seulement: j'ai envie de lire la suite! Allez, Phénix, crois en l'existence du Public!
Surtout que tu t'es arrêté avant d'être entré dans le vif du sujet... A propos des critiques de Théris, la longueur des phrases et l'aération sont bien, à mon sens, on peut lire sans trop de difficulté. J'ai tendance à croire que des textes trop aérés cassent le rythme de lecture. Une fois qu'on est rentré, et ça va plutôt vite avec cette fiction, c'est bien si on ne sors pas aussitôt! En gros, continue comme ça, et surtout, continue!
« Modifié: 01 février 2013, 13:34 par Vilgrav-Klaus »

Phénix

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01 février 2013, 12:58
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Et merde, j'avais complètement oublié cette histoire, c'est vrai qu'il faudrait (peut-être) que je la finisse.

Vilgrav-Klaus

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01 février 2013, 13:34
Ouais, ce serait cool si tu continuais!

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