poésie

Pages: [1]

Cocktail monotone

  • Membre
  • 13874 posts
10 avril 2015, 00:28
"votre culture littéraire" étant trop généraliste je me permets ce petit topic pour que nous puissions à notre guise partager nos coups de cœur poétiques du moment, nos lectures & impressions, etc (& si possible pas de rap malgré le fait que ce soit une forme de poésie svp, déjà un thread à ce propos). rien de particulièrement compliqué du coup, mais je tiens pour inaugurer ce topic citer à notre lew préféré :

j'étais sérieux quand je parlais de poésie, c'est la meilleure et la plus belle méditation possible, on y trouve des résonances avec ses états d'âme et ses malaises quotidiens ; tout notre être y transparaît, parfois avec simplicité, voire humilité, dans une image touchante, parfois avec grandiloquence en sentiments écorchés ou triomphants

la poésie donne à la vie ce surplus de mélodie, à l'image de la bande son d'un film au moment d'une scène émouvante, cette impression de vérité atteignable mais fugitive qui élance l'esprit, la sensibilité et tout son être vers l'étape suivante

c'est "être du bond ; pas du festin, son épilogue" comme l'écrivait Char, ou autrement dit toujours s'aventurer et ne jamais s'arrêter
la poésie ne donne pas les clés mais donne un écho aux chagrins et aux joies, à toute la gamme des couleurs de son essence, et c'est ce même écho qui donne envie, or l'envie fait tout

par la poésie, on arrive à donner du sens à ces riens qui font le tout, s'opposant à la rigidité mathématique du x fois zéro = zéro ; l'éphémère vibration des cordes intérieures est gardée, déployée, égouttée jusqu'à donner toute sa puissance, le souvenir est maintenu dans la chair et peut indéfiniment se revisiter, au-delà de toute temporalité

parce que la poésie permet de déplacer son esprit vers un autre état, une métaphysique de l'être où, comme l'écrit David Mazzucchelli dans Asterios Polyp, un souvenir ne se visionne pas à nouveau mais se recrée ; c'est étendre les possibilités de vie, de sa vie d'abord, puis mêlée à toutes les autres pour arriver à une subjectivité transcendée en un principe essentiel duquel découlera toujours d'autres principes

la poésie, c'est la résonance de l'humanité avec le cosmos : le tout environnant, le noir de l'espace et son infinité qui émergent en un sens, en des sens impossibles à compter mais dont l'infinité n'effraie pas et pousse plutôt à explorer toutes ces potentialités éthiques, tout ce ressenti

la poésie

pour ma part

Spoiler
Citer
[...] Allons, frères, bons vieux voleurs,
Doux vagabonds,
Filous en fleurs,
Mes chers, mes bons,
Fumons philosophiquement,
Promenons-nous
Paisiblement:
Rien faire est doux.

extrait de l'Autre de Verlaine, j'adore cette représentation décomplexée de la désinvolture ..

Citer
there's a bluebird in my heart that
wants to get out
but I pour whiskey on him and inhale
cigarette smoke
and the whores and the bartenders
and the grocery clerks
never know that
he's
in there.

there's a bluebird in my heart that
wants to get out
but I'm too tough for him,
I say,
stay down, do you want to mess
me up?
you want to screw up the
works?
you want to blow my book sales in
Europe? [...]

tiré de Bluebird de Charles Bukowski

Citer
De l'éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poëte impuissant qui maudit son génie
A travers un désert stérile de Douleurs.

Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
Avec l'intensité d'un remords atterrant,
Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ?

Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Que noiera le marais livide des automnes,
Et bâtissez un grand plafond silencieux !

de l'Azur de Mallarmé

donc jsais que vous allez raler puisque j'ai mis que des extraits et que c'est hérésie en poésie, mais j'ai mis que les passages qui m'ont le plus ému. à vous ?

Gencives suintantes

  • Membre
  • 14107 posts
10 avril 2015, 00:39
je suis tellement tenté de citer des couplets de rap

Lew

  • Membre
  • 2709 posts
10 avril 2015, 22:43
excellent et indispensable topic, merci vico victor correcteur des délires africain dans l'âme pour les honneurs
et surtout merci pour m'avoir fait découvrir cette sublime strophe de Verlaine

pour ma part, quelques poèmes pêle-mêle auxquels je pense instinctivement :

Spoiler
Evadné de Char (dans Fureur et Mystère)

L’été et notre vie étions d’un seul tenant
La campagne mangeait la couleur de ta jupe odorante
Avidité et contrainte s’étaient réconciliées
Le château de Maubec s’enfonçait dans l’argile
Bientôt s’effondrerait le roulis de sa lyre
La violence des plantes nous faisait vaciller
Un corbeau rameur sombre déviant de l’escadre
Sur le muet silex de midi écartelé
Accompagnait notre entente aux mouvements tendres
La faucille partout devait se reposer
Notre rareté commençait un règne
(Le vent insomnieux qui nous ride la paupière
En tournant chaque nuit la page consentie
Veut que chaque part de toi que je retienne
Soit étendue à un pays d’âge affamé et de larmier géant)

C’était au début d’adorables années
La terre nous aimait un peu je me souviens.


je trouve éblouissante la tension entre euphorie et dysphorie et cette éthique de la rupture qui actualise justement le titre du recueil pour dessiner une fureur poétique, seule à même de traduire la fureur du monde dans un genre de carmen poétique, c'est-à-dire d'incantation mystérieuse et apollinienne

"Cors de chasse" d'Apollinaire (dans Alcools)

      
Notre histoire est noble et tragique
Comme le masque d’un tyran
Nul drame hasardeux ou magique
Aucun détail indifférent
Ne rend notre amour pathétique
 
Et Thomas de Quincey buvant
L’opium poison doux et chaste
À sa pauvre Anne allait rêvant
Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent
 
Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent


j'en avais déjà parlé une fois, la chute constitue deux des plus beaux vers que je connaisse
tout le poème m'émeut énormément dans son approche du motif du temps qui passe, de la mélancolie automnale et de la confrontation si violente et si dure des images de l'amour triomphant et toujours sublime, mais que le temps effacera, ne laissant qu'un souvenir

"Oiseaux" de Césaire (dans Ferrements)

l'exil s'en va ainsi dans la mangeoire des astres
portant de malhabiles grains aux oiseaux nés du temps
qui jamais ne s'endorment jamais
aux espaces fertiles des enfances remuées


 j'aime beaucoup Césaire et ici, son traitement de la figure de l'oiseau qui appelle évidemment tout de suite l'exotisme, est sublime dans la charge imaginaire très concentrée et très riche


je reviendrai peut-être plus tard quand j'ai du temps sur d'autres ou mes lectures du moment
 
 

Gencives suintantes

  • Membre
  • 14107 posts
13 avril 2015, 00:39
lew tu es comme toujours très très beau

mad fen

  • Membre
  • 15252 posts
16 avril 2015, 14:51
Je viens d'acheter les Cantos d'Ezra Pound, j'essaierai d'en poster quelques uns

Lew

  • Membre
  • 2709 posts
17 juillet 2015, 11:44
page tirée des nuits de musset, sublime à en mettre les larmes aux yeux :

Spoiler
"Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;
En vain il a des mers fouillé la profondeur;
L'océan était vide et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur;
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort se recommande à Dieu."

Chris_TCK

  • Membre
  • 3185 posts
17 juillet 2015, 12:42
c'est cliché de mettre rimbaud 17 ans ?

j'ai kiffé la deuxième lecture de cette poésie

Lew

  • Membre
  • 2709 posts
06 septembre 2015, 19:18
de Mallarmé :

"La Poésie est l'expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l'existence : elle doue ainsi d'authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle".


Sarah-Altaria

  • Membre
  • 512 posts
06 septembre 2015, 19:24
Magnifique nouvelle à lire: Un coup de tonnerre de Ray Bradbury. Superbe si vous voulez illustrer l'effet papillon, et si vous aimez les bestioles du passée. Cette nouvelle futuriste raconte l'histoire d'un homme qui part dans une session de chasse organisée dans le passé, pour chasser, devinez quoi, un dinosaure. Cette nouvelle représente l'un de mes plus gros coup de coeur littéraires. Je sais que c'est pas de la poésie, mais ça vaut vraiment le détour.
« Modifié: 06 septembre 2015, 19:27 par Sarah-Altaria »

Vassily Kandinsgruy

  • Membre
  • 25438 posts
06 septembre 2015, 20:34
Magnifique nouvelle à lire: Un coup de tonnerre de Ray Bradbury. Superbe si vous voulez illustrer l'effet papillon, et si vous aimez les bestioles du passée. Cette nouvelle futuriste raconte l'histoire d'un homme qui part dans une session de chasse organisée dans le passé, pour chasser, devinez quoi, un dinosaure. Cette nouvelle représente l'un de mes plus gros coup de coeur littéraires. Je sais que c'est pas de la poésie, mais ça vaut vraiment le détour.
> http://www.pokemontrash.com/club/culture/votre-culture-litteraire/1590/

Sarah-Altaria

  • Membre
  • 512 posts
07 septembre 2015, 16:12
D'accord, je me douterai bien que je serai hors sujet, alors en voici un, classique, mais que j'adore, le Héron de Jean de la fontaine, pour tous les ornithologues dans l'âme:

Spoiler
Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où,
Le Héron au long bec emmanché d'un long cou.
Il côtoyait une rivière.
L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours ;
Ma commère la carpe y faisait mille tours
Avec le brochet son compère.
Le Héron en eût fait aisément son profit :
Tous approchaient du bord, l'oiseau n'avait qu'à prendre ;
Mais il crut mieux faire d'attendre
Qu'il eût un peu plus d'appétit.
Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l'appétit vint : l'oiseau
S'approchant du bord vit sur l'eau
Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s'attendait à mieux
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le rat du bon Horace.
Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ?
La Tanche rebutée il trouva du goujon.
Du goujon ! c'est bien là le dîner d'un Héron !
J'ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise !
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.
La faim le prit, il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.

Ne soyons pas si difficiles :
Les plus accommodants ce sont les plus habiles :
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner ;
Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris ; ce n'est pas aux Hérons
Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ;
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.

Un autre de Paul Eluard, magnifique, La courbe de tes yeux:
Spoiler
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

Voilà, vous m’en voudrez pas si je sais pas comment mettre le petit truc ou il y a écrit spoiler par ce que je suis très incompétente dans ce genre de trucs. Vous pourriez me dire comment faire ça svp, histoire que ça fasse pas un message long de 3 km?
« Modifié: 07 septembre 2015, 17:17 par Sarah-Altaria »

mad fen

  • Membre
  • 15252 posts
07 septembre 2015, 16:47
une fois que tu as fini de taper ton message tu selectionnes la partie qui t'interesse et tu cliques sur la petite icone jaune et noire qui rappelle celle des centrales nucléaires.

mais t'inquiete, personne ne t'en voudras d'avoir tapé un message trop long

Sarah-Altaria

  • Membre
  • 512 posts

Lew

  • Membre
  • 2709 posts
11 février 2016, 17:08
"Quelle terre est vide de Toi pour qu'on s'élance à Te chercher au ciel ? Tu les vois qui Te regardent au grand jour mais aveugles ils ne Te voient pas" (Mansûr al-Hallâj)

les mystiques musulmans ; lentement à leur lecture, mon cœur se convertit au soufisme

doux jésus

  • Membre
  • 11188 posts
13 mars 2016, 10:50
                        CONSEIL TENU PAR LES RATS
               Un Chat, nommé Rodilardus,
          Faisait de Rats telle déconfiture
               Que l'on n'en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soû ;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
               Non pour un Chat, mais pour un Diable.
               Or, un jour qu'au haut et au loin
               Le Galand alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
               Sur la nécessité présente.
Dès l'abord, leur Doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
               Qu'ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis ils s'enfuiraient sous terre ;
               Qu'il n'y savait que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen ;
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.
L'un dit : Je n'y vas point, je ne suis pas si sot ;
L'autre : Je ne saurais. Si bien que sans rien faire
          On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
          Qui pour néant se sont ainsi tenus :
Chapitres, non de Rats, mais chapitres de moines,
               Voire chapitres de chanoines.
               Ne faut-il que délibérer,
               La cour en conseillers foisonne ;
               Est-il besoin d'exécuter,
               L'on ne rencontre plus personne.

doux jésus

  • Membre
  • 11188 posts
13 mars 2016, 10:51
Jean de la Fontaine

Pages: [1]    En haut ↑