Dossier Pokémon

Disséquons Pokémon 2 : La narration

Partie 1 : Les auteurs du Pokémonde

=> Partie 2 : L'écriture

Bienvenue à tous dans cette nouvelle séance de dissection ! 

Avant toutes choses nous tenons à vous remercier pour vos retours sur notre première opération sur les versions qui nous ont fait extrêmement plaisir. Et pour ceux qui nous rejoignent aujourd'hui je vous invite à lire la présentation de cette rubrique juste ici.

Cette dissection aura pris beaucoup de temps à être réalisée. Pourquoi ? Ben vous savez : la vie, le travail, les vidéos (pour GM) et Final Fantasy XIV (pour moi).

Et il faut avouer que le sujet de cette dissection est un très très TRÈS gros morceau.

Alors sans plus attendre COMMENÇONS !

Sommaire

Introduction

“Oui mais les scénarios des dernières générations sont nuls alors que ceux de ma jeunesse étaient géniaux”

Il est scientifiquement admis que vous ayez tous entendu une phrase de ce type au cours de votre carrière de dresseur à moins que ce soit vous même qu’il l’ayez déjà utilisée. C’est un sujet qui revient souvent sur le tapis quand on critique la série Pokémon, rarement pour en dire du bien. Mais qu'en est-il vraiment ?

La formule narrative de Pokémon possède sa propre histoire et avant de dire que la série a touché le fond dans ce domaine, il est de bon ton de prendre un peu de recul afin de voir d'où elle est partie et voir comment elle a changé au fil des ans, des changements de direction de l'équipe créative, de leurs sensibilités et des contextes de développement.

Voici donc une nouvelle mission pour le professeur lapin notre équipe de dissection !

Avant-propos 

Traiter de la narration dans Pokémon est, comme dit plus haut, une entreprise compliquée et cela pour deux raisons :

La première étant que Game Freak communique relativement peu sur son processus créatif.  Si on a bien quelques interviews des différents réalisateurs ici et là, ils restent la plupart du temps en surface et abordent peu tout ce qui concerne la narration.

Et c'est un problème quand on recherche des informations sur les scénaristes. D'après vous combien de personnes ont été crédités à ce poste au cours des neuf générations ? Une dizaine ? Une vingtaine ? Eh bien non. Aujourd’hui on se rapproche d'une quarantaine de scénaristes au total. 

Ça paraît énorme, mais le problème c'est que Game Freak ne fait guère la distinction dans les crédits de ses jeux entre le(s) scénariste(s) en chef et les free lance, les fameux salarymen japonais, payés au lance-pierre pour écrire les bulles de dialogues des PNJ et foutus à la porte tout de suite après.

Si certains d’entre eux ont pu sortir de l’anonymat et accéder à des places importantes dans la hiérarchie de Game Freak, comme Toshinobu Matsumiya, au départ simple scénariste sur Pokémon Jaune et maintenant Lead Game Dialogue Designer sur quasiment chaque opus depuis Noir et Blanc, la grande majorité des scénaristes ne sont pas connus de la très très TRÈS grande communauté Pokémon.


C’est pas parce qu’on est riche qu’on doit respecter le travail de nos employés

Et la deuxième raison, qui découle de la précédente : comment voulez-vous écrire un article qui aborde la narration d’une série qui a 27 ans et autant d'opus ?

Je me suis longtemps posé la question et voyant que j'étais dans le mal, GM m'a proposé une approche que suivent la plupart des critiques cinéma : la politique des auteurs


Si vous avez la réf … vous êtes quelqu’un de bien

Dans le cinéma, cela consiste à donner au réalisateur le statut d’auteur au-dessus de toutes les autres personnes ayant œuvré sur le film.
C’est une approche qui a ses limites : elle occulte l’action indispensable de tous les autres intervenants, mais elle permet de faire une analyse globale de l'œuvre du réalisateur pour voir les évolutions de son style, les thématiques qu’il aborde, etc.
Cette approche peut tout aussi bien s’appliquer au jeu vidéo en considérant l'œuvre comme principalement le produit de son réalisateur voire de son studio de développement. 

Nous allons donc approcher la narration de Pokémon à travers ses différents réalisateurs, sur ce qu’ils ont apporté à la saga de manière générale puis nous analyserons en détail ce qui constitue la narration des jeux Pokémon à savoir son scénario, son écriture et ses thématiques en révélant leurs inspirations, leurs qualités et défauts et bien sûr les difficultés rencontrées durant le développement.

Les Réalisateurs du Pokémonde

Satoshi Tajiri : Le Pokémon Alpha

Il n'est peut-être pas garanti que vous le connaissiez alors juste au cas où : c'est le père de la série. C’est lui qui a porté le projet Capsule Monsters en compagnie de son ami Ken Sugimori devant les représentants de Nintendo au début des années 90. 

C’est un individu relativement secret : on sait qu’il est le PDG actuel de Game Freak et le producteur de la série depuis Diamant et Perle mais c’est à peu près tout. Est-il effrayé du succès de sa franchise ? Des médias ? Des joueurs ? S’en bat-il les steaks et mène-t-il une vie d'opulence en se moquant des classes populaires du haut de son luxueux appartement tokyoïte ?
On n’en sait rien.
Mais s'il est discret, son héritage sur la série, lui, est bien palpable même 27 ans plus tard car une bonne partie des fondations qu’il a posé pour Pokémon, y compris narratives, ont été gravées dans le marbre.

Beaucoup de ses fondations sont basées sur la vie de Tajiri : 

  • Bourg Palette, le village de départ de Kanto est inspiré de Machida, sa ville natale.
  • Sa grande passion pour la capture d'insectes, qui est rappelons-le, la base fondatrice de Pokémon, est visible à travers la présence des dresseurs scouts et des entomomaniac, qui utilisent des Pokémon de type Insecte et qui sont présents dans quasiment chaque opus de la saga. 
  • Sa relation de mentorat avec Shigeru Miyamoto, qui a cru en son projet au point d’être l'un des producteurs de la série à ses débuts, l’a poussée à se dépasser et cette relation fera écho dans le jeu avec la rivalité entre le joueur Red et son rival Blue. L’animé explicitera encore plus cette relation puisque dans la version originale Sacha et Régis se nomment respectivement Satoshi et Shigeru. 

Tajiri a occupé le poste de réalisateur sur deux générations : Pokémon Rouge Vert/Bleu (1996) Jaune (1998) et Pokémon Or Argent (1999) Crystal (2000). 

*Note : Toutes les dates de sorties de jeux/films cités dans cet article concernent les versions d’origines et donc très souvent les japonaises

L’aventure qu’il propose s’insère, sans grandes surprises, dans le schéma vu et revu du Voyage du héros (ou Monomythe) de Campbell. Pour ceux qui ne sont pas du tout familier avec ce terme, il s'agit d’une théorie élaboré par le professeur de littérature américain Joseph Campbell à la fin des années 40 qui suppose que tous les récits imaginés suivent un schéma narratif similaire découpé en plusieurs étapes avec de faibles variations.

Dans Pokémon on y retrouve quasiment toutes les étapes imaginés par Campbell :

  • Le héros est dans son monde ordinaire : il s'agit d'une introduction qui fera mieux ressortir le caractère extraordinaire des aventures qui suivront.

Votre personnage s'occupe comme un enfant banal avec sa console

  • Le héros est appelé à l'aventure, qui se présente comme un problème ou un défi à relever.

Le Professeur Chen vous lance le défi de remplir son encyclopédie numérique : le Pokédex

  • Le héros est d'abord réticent, il a peur de l'inconnu.

Mouais ça non par contre

  • Le héros est encouragé par un mentor, vieil homme sage ou autre.
    Quelquefois le mentor donne aussi une arme magique, mais il n'accompagne pas le héros qui doit affronter seul les épreuves.

“Désolé Red j’ai d’autres “aventures” à mener si tu vois ce que je veux dire”

  • Le héros passe le « seuil » de l'aventure, il entre dans un monde extraordinaire, il ne peut plus faire demi-tour.

En même temps il y a rien à faire à Bourg-Palette

  • Le héros subit des épreuves, rencontre des alliés et des ennemis.

Les combats contre les Champions d'Arènes et la Team Rocket

  • Le héros connaît l'apothéose :  armé de ses connaissances acquises tout au long de son voyage il est résolu et prêt à affronter la partie la plus difficile de l'aventure

L'affrontement final pour le titre de Maître de la Ligue

  • Le héros atteint l'endroit le plus dangereux, souvent en profondeur, où l'objet de sa quête est caché.

L'exploration de la Caverne Azurée, dernier donjon et repaire du dernier Pokémon à enregistrer dans votre Pokédex

  • Le héros subit l'épreuve suprême, il affronte la mort.


Oui oui la tour de Lavanville mais Mewtwo est plus approprié pour l’exemple

La série continuera d’employer ce schéma à l’avenir en développant davantage certains aspects que Tajiri a posés. 

Mais ce qu'on remarque très vite avec ces deux premières générations, surtout quand on les compare avec leurs suites, c'est que les scénarios de Kanto et Johto sont au final très en retrait et à bien y regarder tous les événements qui les composent, à savoir la quête des badges, la lutte contre la Team Rocket et les affrontements contre le Rival sont plus présentés comme des péripéties sporadiques qu’un grand tout unifié. 

Et c’est à ce moment qu’on réalise ceci : 

Le monde que présente Tajiri est avant tout fonctionnel. 

Ce que j’entends par là c’est qu’on sent que Tajiri n’a pas créé Kanto et Johto pour être des arrière-plans pour les événements qu’il voulait raconter mais plutôt qu’il a créé ces régions pour nous permettre de raconter des histoires, nos histoires. 

Le choix de votre starter en début de partie, la composition de votre équipe, les attaques et les noms que vous donnerez à vos Pokémon, le choix de l'ordre des villes que vous irez visiter dans la deuxième partie plus ouverte de l’aventure, tous ces éléments permettent à chaque joueur de vivre une aventure personnelle dictée par ses choix.

Rappelons que quand Rouge et Vert sort au Japon nous sommes en 1996. Le RPG japonais était déjà dominé par Dragon Quest et son voisin Béhémoth Final Fantasy qui en étaient tous les deux à leurs sixième opus et ces derniers étaient connus pour offrir une grande liberté au joueur sur sa manière de progresser. Pokémon poursuit cet héritage, en particulier celui de Dragon Quest 2 (1987) qui proposait déjà une grande liberté d’exploration pour l’époque, et parvient à retranscrire cette liberté sur une console portable largement réputée comme étant très contraignante en ce qui concerne la programmation.


-Extrait d’une Interview de Masuda en 2018

“A l’époque, nous développions le jeu sur des machines appelées Sun SPARCstation 1 et elles crashaient pas mal. Au milieu du développement, peut-être la quatrième année, il y a eu vraiment un énorme crash et nous ne savions pas comment faire revenir la machine. Toutes les données y étaient, tous les Pokémon, le personnage principal et plein d’autres éléments. Et là, on se disait que l’on était fichu si on ne pouvait pas récupérer les données. [...] nous y sommes parvenus, ce fut tout de même un des moments les plus éprouvants du développement du jeu.”

Cette exploration et cette liberté d’action laissée au joueur dans ces deux premières générations rapprochent également Pokémon de deux autres jeux Nintendo à savoir The Legend of Zelda et Metroid premier du nom sorti tous les deux en 1986.

Pokémon en reprend l’acquisition de compétences qui permettent d’élargir progressivement l’espace du jeu (CS) ainsi que le backtracking parfois nécessaire pour ouvrir de nouveaux chemins dont certains peuvent être choisis dans l’ordre de notre choix. Et bien sûr l'exploration de donjons (grottes et bâtiments).

L'influence de Zelda en particulier est loin d'être anodine car comme on l'a dit son créateur, Shigeru Miyamoto, a été producteur des premiers opus de Pokémon et a probablement grandement impacté les choix de gamedesign des jeux de Tajiri. Quand on sait en plus de ça que Miyamoto n’est pas réputé pour accorder une grande importance aux scénarios des jeux sur lesquels il travaille, il y a fort à parier qu'il soit aussi responsable de cette décision d'avoir un scénario très minimaliste pour mettre l'emphase sur le gameplay.

Mais du coup y a-t-il quelque chose de vraiment intéressant à relever sur la narration de Tajiri en dehors du monomythe de Campbell, qui est un peu le B.A-BA quand on crée une histoire ? Eh bien oui. Tajiri a compris que si son jeu était limité en termes de scénario, cela ne lui empêchait pas de raconter quelque chose via d’autres biais.

La narration dans le jeu vidéo

Je ne vous apprends rien, si je vous dis qu’un jeu vidéo peut raconter son histoire à travers des dialogues et des cinématiques. C’est ce qu’on appellera ici une narration par évènement. Les exemples sont innombrables : Final Fantasy, Assassin’s Creed, Yakuza, God of War, The Last of Us, etc. 

Pokémon n'échappe évidemment pas à ce type de narration. Si les cinématiques sont peu nombreuses sur les deux premières générations (elles se limitent aux scènes qui précèdent le menu principal et les discours introductifs des professeurs) elles se dotent déjà de nombreuses lignes de dialogues pour apporter de la vie aux quelques centaines de PNJ qui habitent les régions de Kanto et Johto. 

Mais il ne s’agit pas de la seule façon qu’un jeu peut utiliser pour raconter son histoire. Il peut aussi utiliser une narration par le gameplay.

Dans le cas des RPG, un gimmick très souvent utilisé est celui de l’affrontement contre un ennemi qui est statistiquement plus fort voire bien plus fort que vous, qui va communiquer un point de scénario (l’écrasante supériorité de l’adversaire) par ses mécaniques de combat. Pokémon est un cas particulier dans ce gimmick car son gameplay s’articule sur l’affrontement entre des créatures que vous pouvez capturer et entraîner. De ce fait, un affrontement contre un dresseur peut servir d’introduction et de teasing à la puissance d’une créature qu’il utilise et que vous pourrez ensuite utiliser à votre tour.  Par exemple les Champions d'Arènes possèdent, surtout en début de partie, des créatures qui ne vous seront pas accessibles avant de les avoir vaincu.

Ainsi Pokémon raconte des choses avec la composition des équipes des PNJ. 


Quelques classes de dresseurs de la 1G
Vous remarquerez sur certains d'entre eux la présence d'un fouet. Elément qui disparaitra dans les suites

Les dresseurs étant répartis par “classe” les types de Pokémon qu’ils utilisent font ressortir leurs occupations et servent aussi d’indice pour le joueur pour déterminer à quel type de Pokémon il doit s’attendre à affronter : un montagnard utilisera des Pokémon Roche, un nageur des Pokémon Eau, un ornithologue des Pokémon Vol, etc.
Le type Poison en particulier possède un traitement intéressant. Il sert à représenter tantôt des animaux venimeux (Familles d’Aspicot, d’Abo et de Tentacool), tantôt les dérives de l’activité humaine (Familles de Tadmorv et de Smogo) voire carrément la mort elle-même (Famille de Fantominus). Leurs utilisateurs regroupent la plupart des classes de dresseurs vous étant particulièrement hostiles : les exorcistes possédés de la Tour de Lavanville, les loubards de la piste cyclable, les membres de la Team Rocket et leurs scientifiques.

La plupart de ses classes sont limités à une certaine sélection de types mais il y a bien sûr une exception à cette règle : votre Rival. 

Ce personnage est particulier pour deux choses : 

Premièrement il s’agit d’un dresseur que vous allez devoir affronter plusieurs fois tout au long de votre aventure. Rappelons qu'en 1996 le concept d'affrontements répétés sur le même PNJ à plusieurs étapes de l'aventure était loin d'être une convention dans les RPG et Pokémon a plus contribué qu'on ne le croit à développer ce trope.
Et deuxièmement, en plus de les voir progresser à chaque confrontation, les Pokémon de son équipe sont différents en fonction du starter que vous avez choisi. Là où cette idée est géniale c'est qu'elle présente sans avoir besoin de le verbaliser aux joueurs l'intérêt d'avoir une équipe équilibré et paré à tout type d'adversaires. Cela sera poussé assez loin dans Pokémon Jaune où l'Evoli de votre Rival évoluera de différentes façons selon les deux premiers combat face à votre Pikachu :

- Si vous gagnez les 2 matchs il deviendra un Voltali, résistant face à votre Pikachu
- Si vous gagnez 1 seul match il deviendra un Pyroli, neutre face à votre Pikachu
- Si vous perdez les deux matchs, il deviendra un Aquali et sera faible face à votre Pikachu.
A partir du combat à la Tour Pokémon de Lavanville le reste de son équipe sera aussi modifié pour équilibrer sa couverture offensive en prévision de la future évolution de son Evoli auquel vous ferez face à la Sylphe Sarl qui se trouve … après Céladopole et son centre commercial où on peut acheter les pierres d’évolution. Très malin Tajiri.
En plus de constituer une forme de difficulté adaptative cela raconte quelque chose sur votre Rival qui, suite à ses résultats lors de vos premiers matchs, prendra conscience ou non de la dangerosité de votre Souris Électrique et préparera son Evoli dans le but de le contrer ou pas, et le pose donc en dresseur plus compétent que la masse d’incapables que vous laissez derrière vous durant votre ascension commune. 

Une autre façon de raconter son histoire est de le faire via la composition d'un niveau sans avoir à la verbaliser : ce sont les environnements qui narrent l'histoire d'où son nom : narration environnementale. Cette technique regroupe plusieurs éléments : l’environnement, le design des PNJ et bien sûr la musique.

Dans Pokémon RV/BJ l'exemple le plus évident ayant recours à cette technique de narration sont les ruines du Manoir Pokémon de Cramois'Île. Mais pas que : ces ruines sont d'une certaine façon une synthèse de toutes les techniques narratives que l'on peut utiliser dans un jeu vidéo.

La présence de dresseurs de type Pilleurs accentue l'idée que le manoir renferme sans doute des choses intéressantes à récupérer. La présence d'un trou qui est le seul moyen d'accéder au sous-sol illustre l'aspect délabré du bâtiment. En la combinant à la narration textuelle offerte par les extraits de journaux qu'on trouve un peu partout dans le manoir on peut déduire les sombres évènements qui ont mené à la destruction du Manoir.

On y retrouve également une narration par le gameplay avec la présence des familles de Rattata, Tadmorv et Smogo qui souligne le côté insalubre du bâtiment et bien évidemment la présence de Métamorph dans les sous-sols du manoir qui alimente la théorie très connue selon laquelle ces derniers sont les résultats d'expérimentations de clonage de Mew ayant échoué. La musique, oppressante, permet de donner à ce lieu une ambiance lugubre.
Et enfin toute cette zone tease votre futur affrontement face au Pokémon Génétique.

Pour conclure sur Tajiri on peut dire que si ses jeux ne proposent pas d'histoires avec une grande profondeur il possède en revanche la maîtrise des différentes techniques narratives propres à son médium.
On peut donc en déduire que la mise au second plan de l’histoire de Pokémon est une démarche intentionnelle afin de laisser place à une expérience centrée sur les deux thématiques chères à Tajiri : le voyage personnel du joueur et de ses Pokémon, et un propos global écologiste sur lesquels nous reviendrons plus en détails à la fin de cet article. 

Ainsi, même si les deux premières générations ont techniquement un scénario qui tient sur un timbre, il serait absurde de prétendre qu’elles ne racontent rien.

Junichi Masuda : Le Pokémon Mélodie

Lui en revanche il est très peu probable que vous ne le connaissez pas. Que vous soyez un fan qui a suivi l'actualité des jeux, un shiny hunter ou un simple mélomane vous connaissez Masuda. Avant d'être un programmeur et un scénariste, il est avant tout le compositeur historique de la série et de Game Freak de manière générale puisqu’il est présent depuis le tout premier jeu du studio en 1989 alors qu’il n’avait que 21 ans. 

Au fil des années, il a pris une place de plus en plus importante dans le développement des jeux Pokémon. Il était le co réalisateur sur la deuxième génération puis est devenu le réalisateur principal sur Pokémon Rubis et Saphir (2002) et a occupé ce poste sur tous les opus principaux jusqu’à la sixième génération avec Pokémon X et Y (2013). Ce qui fait de lui, à l’heure où j’écris ces lignes, celui qui a dirigé la série le plus longtemps.

De par cette double casquette de réalisateur-compositeur, il est une véritable icône de la franchise. Si on peut dire que Tajiri est celui qui a posé les bases de l’univers de Pokémon, alors Masuda est, à n’en point douter, celui qui a le plus contribué à lui apporter une identité. C’est lui qui a fixé, lors de la troisième génération, la structure narrative de la série telle que nous la connaissons aujourd'hui : la quête personnelle du joueur pour obtenir 8 badges et devenir maître pokémon passe au second plan, au profit des intrigues propres à chaque région avec sa team de méchants, ses légendaires, ses PNJs centraux et ses thématiques. 

Les jeux dirigés par Masuda ont bien davantage de scénario que ceux de Tajiri et mènent généralement à une apogée narrative entre le 7e et le 8e badge qui dénoue les enjeux accumulés jusque là. De là à dire que les scénarios de ses jeux sont bons, c’est une autre histoire, mais cette structure est devenue représentative de Pokémon avec le temps. 

Après la sixième génération il prendra un rôle de superviseur-compositeur qu'il conservera jusqu'à Écarlate et Violet. Durant cette période il est revenu brièvement à la réalisation en s'occupant des opus Let’s Go (2018) et des “”remakes”” de Diamant et Perle (2021). 

Ça valait le coup (-_-)

Il a officiellement quitté Game Freak le 31 mai 2022 pour rejoindre The Pokémon Company en tant que Chief Creative Fellow. Difficile d’estimer l’importance de ce changement mais en tant que créatif qui a consacré 27 ans, soit plus de la moitié de sa vie, à développer des jeux Pokémon je ne peux que prier notre divine chèvre pour qu’il soit suffisamment influent pour parvenir à mettre le holà sur la Frénésie mercantile de Tsunekazu Ishihara et de ses actionnaires afin que les équipes de Game Freak puisse avoir le temps, les moyens et la main d’oeuvre nécessaire pour faire des jeux à la hauteur de Pokémon.

Shigeru Ohmori : Le Pokémon Désastre ?

Présent chez Game Freak depuis au moins 2002, il a commencé sa carrière en tant que Game et Map Designer sur Pokémon Rubis et Saphir. Ce qui veut dire qu’on lui doit en partie la carte d’Hoenn.

Merci … merci

Il a ensuite évolué dans la hiérarchie puisqu’il a occupé le poste de Lead Game Designer sur la quatrième génération. Il est entre autres le créateur de la mécanique du Souterrain de Sinnoh, celui qui a décidé de créer la plupart des nouvelles évolutions de Pokémon déjà existant de la 4G et … celui qui a inventé le gimmick d’évolution pour Sepiatroce.

C’est à partir des remakes Rubis Oméga et Saphir Alpha (2014) qu’il est devenu le réalisateur des opus principaux : Soleil et Lune (2016), Épée et Bouclier (2019) et enfin Écarlate et Violet (2022) sont tous de lui. 

Chuuuuuuut calmez vous

Après des scénarios marqués par les thématiques chères à Masuda, les scénarios proposés par Ohmori suivent tous deux thématiques très marquées : l’environnement, déjà exploré par Tajiri et Masuda mais ici en abordant des problèmes encore plus marqué par l'actualité comme la crise énergétique ou le dérèglement des écosystèmes ainsi que la famille avec le deuil, les rapports conflictuels parents-enfants ou la pression des cadets par la comparaison avec leurs aînés.

Ce qui distingue véritablement le style narratif d’Ohmori de celui de Masuda est visible dès l'épisode Delta de ROSA, qui a constitué un tour d’essai pour lui en tant que directeur : vous, joueur, êtes le témoin d’une histoire portée par d’autres personnages (ici Amaryllis), en allant d’événement en événement, de dialogue en dialogue. Le personnage qu’on incarne est relégué au rang de point de vue poke(r)face depuis lequel d’autres que nous exposent les thèmes de l’histoire, et notre seul rôle est d’exercer nos superpouvoirs de protagoniste invincible pour les seconder. C’est, disons-le, une manière assez faible de faire de la narration dans un jeu vidéo, beaucoup moins élégante et efficace que la narration environnementale chère à Tajiri, qui n’aura pas échappé à l’attention des fans sur les générations récentes. 

Car malheureusement, à la fois pour lui et pour nous, Ohmori est devenu en quelque sorte l’incarnation de la chute en qualité des dernières versions. 

Habitants de Paldea indignés de ne pas avoir d’intérieur dans leurs maisons

Cette mauvaise réputation tient toutefois plus, selon moi, de l'aspect technique calamiteux causé par les délais de développement insoutenables imposés aux développeurs de Game Freak qu'aux qualités narratives des scénarios des jeux d'Ohmori même si attention ces derniers sont, comme ses prédécesseurs, loin d’être irréprochables. 

Mais ce ne sont évidemment pas les seules choses que l’on reproche à Ohmori : il est aussi vivement critiqué sur ses compétences en tant que Lead Designer. Car bien qu’ayant apporté des éléments de quality of life très appréciables (DexNav et Poké Loisir), il s’est aussi illustré, à maintes reprises, sur des choix assez discutables quand ils ne sont pas de véritables attentats contre le bon gamedesign. Et croyez moi quand on les abordera dans une dissection future je serai sans pitié. 

#teasing #idéeàchier #RONGOUUUUUUURMAAANNDDEMERDE!!

*Pfiouuu* Excusez-moi je me suis un peu emporté.

L’histoire de Pokémon s’est donc articulée autour de ces trois personnes.

On pourrait aussi citer Kazumasa Iwao, le réalisateur de Pokémon Ultra Soleil/Ultra Lune (2017) et Légendes Pokémon Arceus (2022) mais pour être Tutafeh honnête avec vous je n'ai pas joué au deuxième et j'aurais aimé ne pas jouer au premier donc on va se permettre de gentiment le zapper.

Encore désolé Iwao.

Ok. Bon ben on se revoit en 2025 pour Légendes Pokémon : Kyurem alors.

Blague périmé depuis le Pokémon Present du 27/02/2024

Avec cette petite présentation on remarque déjà une certaine évolution de la formule narrative de Pokémon au fil des années. On est passé de jeux assez avares en scénario à au contraire des jeux où ils sont bien plus mis en avant. Maintenant qu'on a bien délimité la zone d'opération il est temps d'entrer dans le vif du sujet. On va donc disséquer la structure narrative de Pokémon.

=> Partie 2 : L'écriture

Par Dremaak