Dossier Pokémon

Disséquons Pokémon 2 : La narration

Partie 3 : Les Thématiques et Conclusion

Partie 2 : L'écriture <=

Bienvenue dans cette troisième et dernière partie de cette dissection consacrée à la narration des jeux Pokémon. Comme on l’a dit précédemment, Pokémon est une série qui n’est pas vraiment connue pour la profondeur de ses scénarios. En revanche, elle dispose de nombreuses thématiques qui la rendent très intéressante à analyser. 

On va donc parler des thématiques récurrentes, celles qui unifient les opus de la saga. On va voir quelles sont leurs inspirations et comment elles sont mises en avant dans les jeux. Et enfin, nous conclurons ce long charabia.

Sommaire

Les thématiques

Le voyage


Artiste : Caellaigh

S'il y a bien UN thème, central, commun à chaque opus et qui nous vient immédiatement en pensant à la série, c'est évidemment celui du voyage. Pokémon est loin, très loin, d’être le premier, puisqu'à ma connaissance je ne connais aucun RPG, qu'il soit occidental ou oriental, qui n'y a pas recours.

Comme le présentait Campbell et un certain générique de dessin animé que vous connaissez tous, le voyage est source d’apprentissage. S'il s’agit d’un outil narratif exploité à ce point c’est parce qu’il fait intervenir deux thématiques universelles et complémentaires : celle de la découverte des autres et la découverte de soi-même

Quand on parle de voyage et de Pokémon, il y a normalement un film qui doit vous venir en tête : Stand By Me, réalisé par Rob Reiner en 1986.

Adapté de The Body, roman semi-autobiographique de Stephen King, ce film raconte l’histoire d’une bande d'amis d’une douzaine d’années qui décident de partir à la recherche du cadavre d’un enfant porté disparu afin de faire la une des journaux. 

C'est un film très populaire au Japon, ayant remporté la récompense du meilleur film étranger en 1988. Le film est référencé dès les premières minutes de RBJ où il est diffusé sur le téléviseur familial. 

En version française à la place on avait une référence à Dragon Ball. *RIP Monsieur Toriyama* 

Il est donc assez évident que ce film possède une certaine importance au vu de ce que le jeu raconte. Mais avant d’en parler revenons un peu sur le film.

Avec un pitch pareil on pourrait s’attendre à ce que le macchabée ait une grande importance dans l’intrigue, mais en réalité ce n'est pas du tout le cas. Passées la scène introductive et la découverte du corps à la fin, ce dernier n’est quasiment jamais mentionné.

Le film est bien plus centré sur les relations entre les personnages et c’est à mon avis pour cette raison que le titre a été changé pour Stand by Me (qui est aussi une chanson de Ben E. King qu’on entend dans le film) qui correspond davantage au but du film : raconter l’histoire d’une bande d’amis qui part en voyage en s’intéressant aux liens qu’ils développent. Leurs échanges sont assez proches de ce qu'on a dans les jeux de Tajiri : entre trashtalk quasi permanent et sincérité confondante.

Encore une fois, l'influence de Mother dans le développement des premiers jeux de la série de Game Freak est à évoquer. Il se trouve que dans le premier Mother (1989) on trouvait déjà une référence au film Stand by Me. 


One time when I was little I walked through the tunnel. I went to see a dead body.

En plus de ça, l’univers de Mother se déroule dans une Amérique contemporaine à sa date de sortie et vous évoluez au sein d’un groupe d’enfants. La comparaison se tient.

Dans le cas de Pokémon, ce qui rend sa filiation avec ce film si particulière, c’est que son thème de la création de liens à travers un voyage n’est pas que narratif, il est aussi et surtout ludique. En effet, l’aventure que propose Pokémon n’est pas celle d’un RPG classique où vous évoluez au sein d’un groupe, comme le fait Mother par exemple : votre Rival, bien que présent durant votre aventure, ne voyage pas avec vous. Ce sont vos Pokémon qui seront vos compagnons d'aventure. 

Ce sont ces liens que vous créez avec vos créatures virtuelles qui sont au cœur de ce que raconte la saga : la compréhension des qualités et défauts de vos compagnons afin de créer une équipe harmonieuse et équilibrée, la gestion de leur bien-être afin qu'ils puissent donner leur maximum et enfin triompher de l'adversité.

Les jeux qui suivront feront toujours en sorte d'apporter des fonctionnalités qui vous permettront de développer vos liens avec vos créatures de poches : statistique de bonheur, mini-jeux, possibilité de se balader avec un Pokémon, etc.

Autre chose qui va changer et qui va rapprocher la série de Stand By Me au fil des opus, c'est la présence plus importante de PNJ au cours de votre périple afin de renforcer votre immersion au sein de cet univers, même si comme on l’a dit, cela est encore très perfectible. 

Ces personnages accompagnateurs auront une importance croissante au fil des ans. Si les dresseurs accompagnateurs de la 4G ne possèdent pas un grand rôle dans les événements ayant lieu à Sinnoh, Lillie en 7G ou Menzi, Pepper et Pania en 9G, eux, seront la colonne vertébrale de leurs récits. 

D'ailleurs puisqu'on parle de ces trois là.

Cette scène à la fin du jeu où nous voyons nos quatre protagonistes marcher le long d'une route ne fait-elle pas très Stand By Me

Toujours dans cette thématique du voyage, Écarlate et Violet en profitent pour aborder la notion de sens qu'on donne à notre voyage avec la Chasse au Trésor de l'Académie. 

Chacun des personnages ont des raisons différentes d'y participer :
- Menzi recherche un adversaire à sa mesure avec lequel elle pourra se mesurer
- Pepper recherche un moyen de soigner son Dogrino
- Pania recherche quelqu’un qui pourra l’aider à sauver ses amis
Le jeu nous invite à trouver notre trésor, notre but, qui d'un point de vue narratif prendra la forme de ce que tout le fandom de One Piece redoute en théorisant sur la nature du trésor de Roger, à savoir les liens et les rencontres que nous aurons fait pendant notre voyage.


Sans grande subtilité d’ailleurs car c'était vraiment pas la peine de le verbaliser

La nature


Artiste : Shen YH

Bon en fait je vous ai menti : il existe une autre thématique centrale à la série et c’est la nature.

C’est une thématique extrêmement riche puisqu’elle regroupe énormément de choses et donc, pour ne pas se perdre dans cette immense forêt, on va réappliquer notre politique des auteurs, la nature ayant toujours été précieuse aux yeux des réalisateurs de la série.

Pour bien comprendre ce que représente la nature dans les jeux de Tajiri, il faut se replonger un petit peu dans sa vie.

Le petit Satoshi naît en 1965 à Machida, petite ville campagnarde de la métropole de Tokyo. Enfant, il s’adonne à sa passion pour la collection d'insectes et passe une grande sa jeunesse à se balader dans la forêt avec ses amis pour en capturer et les échanger. Ça vous le savez tous, mais ce qui est intéressant, c'est de voir ce qui s'est passé après. Durant les années 60 le Japon connaît un essor considérable que l'on connaît sous le nom de miracle économique japonais. Cette période a été fortement marquée par le développement de l'industrie et de l'urbanisation des villes japonaises, qui a fait du pays la deuxième puissance mondiale au début des années 70. La ville de Machida n'a pas échappé à ce processus d'urbanisation sauvage et Satoshi a assisté à la destruction de sa campagne sur laquelle ont été construits logements et commerces. 

Quand on remet ça en perspective, il n'est pas difficile d'interpréter que Pokémon représente l’enfance de Tajiri. Sa vision nostalgique et un peu fantasmée de la campagne japonaise.

La société que présente Tajiri à travers les régions de Kanto et de Johto est donc en adéquation avec cette vision fantasmée : son monde est une utopie où les humains, les Pokémon et la nature vivent en harmonie. 

Le rôle du dresseur de Pokémon que vous incarnez consiste alors à servir de liant entre ces trois éléments. Le voyage de votre avatar permet d'être constamment en contact avec ces derniers. Vous constatez la beauté de ce monde ce qui vous mène fort logiquement à vouloir le protéger de ceux qui voudraient en troubler la quiétude.

Et c'est l'occasion de revenir un peu sur ce fameux miracle économique japonais. Quand Pokémon sort en 1996, celui-ci vient de prendre fin au début de la décennie avec l’éclatement d’une bulle spéculative immobilière. 


La même bulle économique qui est présentée dans Yakuza 0

La terrible récession qu'a provoqué cet éclatement a redonné du grain à moudre à une partie de la population japonaise, qui ne voyait pas d'un très bon œil ce développement industriel massif de leur pays qui s'est fait au détriment de sa nature. De ce fait, beaucoup d’artistes japonais de l'époque ont glissé dans leurs œuvres un message sur la protection de la nature et mettent en garde sur les dérives industrielles de l’homme. On retrouve ce genre de message dans des films comme Princesse Mononoké (1997) ou des jeux vidéo comme les deux Zelda de la Nintendo 64 (1998 et 2000), ou bien évidemment Final Fantasy VII (1997).

Pokémon s'inscrit dans cette mouvance et cela se traduit in-game par l'existence de la Team Rocket en tant qu'antagoniste. Cette dernière pratique le vol et l'intimidation, exploite et maltraite les Pokémon, parfois jusqu'à la mort. Contrairement à vous, cette dernière évolue très peu en pleine nature à moins bien sûr d'avoir quelque chose à y gagner, comme par exemple voler des fossiles ou couper des queues de Ramoloss pour les revendre. Elle est bien plus présente dans les villes où elles possèdent parfois des infrastructures, comme le casino qui lui permet de s’enrichir en exploitant les faiblesses humaines, ou la base secrète d’Acajou où elle pratique des expériences sur les Pokémon. C’est également dans les villes où elle mène des attaques sur des bâtiments comme à la Sylphe SARL ou à la Tour Radio, que vous devrez libérer en écrasant des bataillons entiers de sbires ainsi que leurs chefs.

 


On a même une tentative de recrutement avec le défi du Pont Pépite

Comme on l’a dit précédemment, le fait que ses membres utilisent majoritairement des Pokémon de type Poison, dont Smogo et Tadmorv représentant la pollution, insiste sur leurs natures corruptrices qui font tâche au sein d’une société décrite partout ailleurs comme étant très responsable.

Enfin le Pokémon Génétique Mewtwo représente cette corruption de la nature par l’homme à son apogée. Décrite comme étant le “fruit de nombreuses expériences génétiques horribles et malsaines”, cette ultime créature n’a vu le jour que pour être une arme et servir les intérêts de ses créateurs (qui furent révélés a posteriori comme étant des scientifiques aux ordres de la Team Rocket). Quand on découvre que celui-ci s’est rebellé et a détruit le Manoir Pokémon, le jeu cherche à nous faire comprendre qu’avec les progrès de la technologie, la nature peut être en partie contrôlée, mais que cette manipulation peut engendrer de terribles catastrophes.

Quand Masuda succède à Tajiri, il reprend cette idée mais va l’amener plus loin en faisant de la série un porte-étendard de l'environnementalisme. Il s'agit d'un courant de pensée qui prône le respect et la préservation de la nature tout en se permettant de l'exploiter à condition de pratiquer le développement durable. Il s'agit du thème phare de la troisième génération.

Il intervient sur de multiples formes : le gameplay à travers l'accent mis sur les Pokémon, capacités et talents liés au climat ; le design de la région d’Hoenn avec la séparation de la région entre autant de routes terrestres que marines, et l'aménagement naturel des villes comme Cimetronelle ou Atalanopolis.

Tous ces éléments sont là pour représenter cette utopie environnementaliste, où les humains ont très largement adopté des pratiques responsables de développement durable.

Une fois encore la série s’inspire de la réalité pour créer son scénario : la rivalité entre la Team Aqua et la Team Magma est inspirée d’une polémique ayant éclaté à Kyushu, région du Japon qui a inspiré Hoenn. Cette polémique, qui a été très médiatisée au Japon, concernait un projet d’assèchement de la baie d’Isahaya. Le projet a été vivement critiqué pour la catastrophe écologique que ce projet allait engendrer, mais il a été aussi beaucoup défendu car l’objectif était de créer de nouvelles terres agricoles. Cette opposition prendra la forme d’un affrontement entre les Pokémon Légendaires Kyogre et Groudon, symbolisant la mer et la terre mais qui représente aussi par extension la confrontation entre nature et civilisation. Une fois de plus, votre avatar sera placé au centre de ces événements et devra adopter la position de gardien de l’harmonie, qui mettra fin à cet affrontement en réveillant Rayquaza le Pokémon Légendaire représentant le ciel qui calmera les deux titans. 

La série continuera d'explorer ce thème à travers les jeux qui suivront de manière plus discrète, car les quatrième, cinquième et sixième génération possèdent des thématiques qui leurs sont propres.

L'arrivée d’Ohmori à la réalisation remettra ce thème en avant dans la septième et huitième génération avec des sujets encore liés à l’actualité.

En 7G, il sera question de la protection des espèces avec la Fondation Æther, et ses tentatives d'introduire de nouvelles espèces dans l'écosystème d’Alola via les Ultra Brèches, qui font écho aux nombreuses espèces exotiques ayant été introduites à Hawaï au fil des ans. C’est à cette occasion que seront introduites les formes régionales, des formes alternatives de Pokémon basées sur la variation au sein d'une même espèce.

En 8G, il sera davantage question de la crise énergétique. La région de Galar risque en effet d'en subir une dans un futur relativement proche (1000 ans on rappelle). Cette catastrophe imminente va pousser Shehroz, président de la Ligue de Galar ainsi que le propriétaire milliardaire d'un conglomérat d'entreprises qui regroupe à peu près 90% du PIB de la région, et qui est aussi très probablement responsable de cette future crise à force d'utiliser l'énergie Dynamax pour alimenter ses stades, à mener un plan visant à prendre le contrôle d'un Pokémon extraterrestre qui a provoqué un cataclysme il y a 3000 ans, afin qu'il produise une énergie infinie au risque qu'il détruise toute la région.

Oups désolé, je peux pas m'empêcher de me moquer du scénario d'Épée et Bouclier. Ce n’est pas vraiment un problème de thématique mais plutôt que le scénario ne lui rend vraiment pas honneur. Je me montre assez dubitatif sur la caractérisation de Shehroz qui n’a AUCUNE raison d’être une personne avec de nobles intentions au vu de ce qu’il est censé représenter dans le monde réel de la réalité véritable. Il aurait été parfait dans le rôle du milliardaire amoral, qui utilise l’énergie Dynamax pour son bénéfice personnel en laissant des habitants de Galar dans la pauvreté, et en tuant la région à petit feu jusqu’à l’inévitable crise énergétique. Cela aurait donné du sens à la Team Yell, qui vient de Smashings où l'énergie Dynamax n’est pas présente, et est donc laissée à l’abandon car non attractive pour les affaires du PDG de Macro Cosmos. On aurait pu la voir comme une vraie organisation qui cherche à détruire les stades pour les empêcher d’utiliser le Dynamax, et la moralité ambivalente de leurs actions aurait été super intéressante. Mais non. A l’image de son dresseur, la thématique de la crise énergétique qu’incarne Shehroz est racontée avec la subtilité et la délicatesse d’un Pachyradjah dans un magasin de porcelaine.  


Spoiler : Il y aura beaucoup moins de Théffroi et de Polthégeist après son passage

Bon sang je ne peux vraiment pas m’en empêcher. Vite on passe à la suite.

La spiritualité

Il s'agit du thème fil rouge de la quatrième génération

Cette dernière s’appuie, comme beaucoup d'œuvres japonaises, sur le Shintoïsme. C’est une religion basée sur une forme d’harmonie entre les hommes et la nature personnifiée par de (très) nombreuses divinités, appelés kamis.

Même si cette dernière est de moins en moins pratiquée ces dernières décennies, les valeurs qu'elle promeut sont encore bien ancrées dans la société et les mentalités japonaises. Vous vous souvenez quand j'ai parlé d'une partie de la population japonaise qui ne voyait pas d'un très bon œil le développement industriel de leur pays durant le miracle économique japonais ? Eh bien, cette dernière était assurément attachée à ces valeurs shintoïstes. L'industrialisation et la destruction de l'environnement sont par essence incompatibles avec ce mode de pensée, puisque les kamis s’incarnent dans chaque chose présente dans la nature : forêts, rivières, montagnes ou animaux. 

Si la série Pokémon se montre moins radicale, de par son adhésion à l'environnementalisme qui recherche davantage le compromis entre nature et civilisation, elle partage tout de même ces idéaux d'harmonie, ce qui constitue une continuité avec les messages portés précédemment par la série.

Cette spiritualité se traduit à Sinnoh bien évidemment par l’existence de son mythe de la création, avec récits écrits, monuments, église et autre temple mais aussi par le grand nombre de Pokémon Légendaires incarnant différents éléments naturels (la floraison, les volcans, la dérive des continents) ou spirituels (divinité, les rêves et les cauchemars). La quatrième génération sera aussi la première qui glissera sa thématique centrale sein des Pokémon de Départ, puisque leurs évolutions finales de sont inspirés de divers mythes : la tortue-monde des mythes amérindiens pour Torterra, le roi singe Sun Wukong du conte chinois La Pérégrination vers l'Ouest pour Simiabraz, et Poséidon, le dieu des océans de la mythologie grecque pour Pingoléon.

Pour ce qui est des personnages, trois d'entre eux portent cette thématique.

René, votre rival (oui, c'est son vrai nom). Contrairement aux rivaux des deux premières générations, celui-ci n’est pas présenté comme un personnage vous étant hostile. C’est un personnage avec un bon fond, mais avec un caractère impulsif, partant au quart de tour sans réfléchir aux conséquences et qui passe son temps à percuter les gens sur son passage. Ce qui le rapproche de ses prédécesseurs, c’est qu’il est là pour représenter au joueur ce qu’il ne faut pas faire : nous, joueur, nous prenons notre temps, nous parlons aux PNJ et nous préparons notre équipe en vue des obstacles qui nous attendent.
Au cours du climax scénaristique, René aura une prise de conscience après sa défaite face à Jupiter, l’admin de la Team Galaxie. Il réalise que son comportement a eu de graves conséquences, car la Team Galaxie a pu kidnapper Créhelf (même si cela n’a pas vraiment sens d’un point de vue timing des événements, car étant donnée la durée du voyage jusqu’au Lac Savoir, Jupiter aurait bien eu six fois le temps nécessaire pour kidnapper la mascotte de Poképédia avant que René arrive). Suite à cet événement, René se montrera plus à l’écoute du monde qui l’entoure, ce qui se traduit mécaniquement par l’ajout dans son équipe d’un Goinfrex, réputé pour être très difficile à capturer, et que pour le prochain match contre lui, qui est le dernier avant la ligue, il attend que vous soyez prêt à affronter le Conseil 4 pour vous proposer un combat. Cela reste toutefois une évolution assez faible pour le personnage, en plus d’arriver relativement tard dans l’intrigue, mais bon on dira que ça reste plus intéressant que le rival Brice/Flora dans la génération précédente, qui est désespérément creux.

Ensuite vient Cynthia, la maîtresse de la Ligue de Sinnoh. Elle interviendra plus fréquemment dans le scénario que ses prédécesseurs de la troisième génération même si comme on l’a dit ses interventions face à la Team Galaxie se laissent un peu trop désirer. Son activité d'archéologue permet de faire le liant entre le passé de Sinnoh et ses habitants, ce qui fait qu'une grande partie de ses dialogues parlent des mythes et de cette harmonie entre humain et Pokémon, qu'elle considère comme sacrée, et que vous, joueur, allez devoir protéger.

Hélio, le leader de Team Galaxie, est le complet opposé de Cynthia : c'est un individu froid qui renie la spiritualité. A ses yeux, les émotions et par extension, l'esprit sont une aberration génératrice de conflit. Il va passer l'entièreté du jeu à œuvrer pour créer un monde qui en sera dépourvu. Sur le papier, c'est un méchant thématiquement approprié à ce que raconte la région de Sinnoh, mais malheureusement tout ce qui constitue sa caractérisation est en inadéquation avec le monde de Pokémon tel qu’il est présenté in-game : les conflits n’existent pas à Sinnoh. Donc on a bien du mal à comprendre les raisons qui le poussent à agir de la sorte, et les maigres éléments de background qu’on découvre sur lui à Rivamar, sa ville natale, ne suffisent pas à justifier le passage d’un gamin solitaire à un nihiliste spé gourou de secte qui veut détruire le monde. 

Le compromis entre deux idéologies

Si vous avez lu notre précédente dissection sur les versions, on avait évoqué le fait que Pokémon utilisait la notion d'opposition pour justifier le fait que chaque génération de jeu soit coupée en deux versions. Si cela pouvait être justifié jusqu’à Rubis et Saphir, l’arrivée d’Émeraude en tant que version complémentaire a cependant changé ce paradigme, car la résolution du conflit entre terres et mers/nature et civilisation fut finalement celle d’un compromis pour que chacun puisse vivre dans une forme d'harmonie qui est au centre des préoccupations de l'environnementalisme. Cette idée du compromis entre deux visions opposées sera la thématique principale de la cinquième génération.

Pour illustrer cette thématique, l’équipe de Masuda a eu recours à ceci :

Vous connaissez sans doute tous ce symbole, mais vous aurez sans doute beaucoup plus de mal à le définir.

Il s’agit d’un concept que nous devons au Taoïsme, l'une des trois grandes écoles de philosophie chinoise avec le Bouddhisme et Confucianisme.

Pour faire simple, le terme Tao soumet l’idée que chaque chose dans l’univers est régie par une force fondamentale qui la met en mouvement. Cette force est représentée par le Taijitu, ce fameux symbole. Il représente l’union de deux éléments contraires : le yin (en noir) et le yang (en blanc). C’est par l’union de cette dualité (donc un compromis) que le Tao met le monde en mouvement. Le Yin et le Yang peuvent désigner énormément de choses : la terre et le ciel, la nuit et le jour, le silence et la parole, le cadet et l'aîné, etc…

Vous êtes perdus ? C’est normal. C’est un concept philosophique complexe qui a été grandement simplifié dans les jeux pour n’en garder que deux idées : la Réalité et l’Idéal.

Cette dualité se traduit par plusieurs choses : 

La ville de Janusia existe sous deux formes différentes selon votre version : Dans la version Blanche c’est une ville à l’apparence ancienne tandis que dans la version Noire, elle a un aspect beaucoup plus futuriste avec beaucoup moins de végétation. La Ville Noire/Forêt Blanche qu'on explore dans le postgame est basée sur le même principe.

En terme de Pokémon, un certain nombre d’entre eux fonctionne par paire : 

  • Les familles de Manternel et Brutapode
  • Les familles de Tranchodon et Trioxhydre
  • Les familles de Gueriaigle et Vaututrice
  • Les deux formes de Bargantua
  • Judokrak et Karaclée
  • Aflamanoir et Fermite

Parmi tous ces Pokémon, le duo le plus intéressant est celui d’Escargaume et Carabing. Ce duo a la particularité d’évoluer uniquement en s’échangeant mutuellement. Inspiré des larves du Drile jaunâtre, Carabing va récupérer la carapace d’Escargaume pour augmenter sa protection et devenir Lançargot. De l’autre côté, Escargaume, libéré de sa lourde carapace, va devenir Limaspeed et gagnera beaucoup en vélocité. Ce duo illustre parfaitement ce concept de complémentarité entre deux entités.

Ensuite viennent les personnages : 

Encore une fois votre rival… ou plutôt vos rivaux sont des incarnations de cette dualité. 

Tcheren (nom inspiré du mot bulgare Cheren qui veut dire littéralement Noir) est un dresseur sérieux et terre-à-terre qui a pour ambition de devenir le maître d'Unys, mais ne possède pas de grands idéaux à défendre. Sa rencontre avec le Maître Goyah sera le déclic qui lui fera prendre conscience que sa quête de puissance est vaine s’il n’a pas de but. Dans les suites Noir 2 et Blanc 2, il devient enseignant, ainsi que Champion d’Arène, ce qui lui permet de satisfaire son envie de devenir plus fort et en même temps de former la nouvelle génération.

À l'inverse, Bianca (Blanc en italien) est une dresseuse optimiste et idéaliste qui cherche sa voie. Son arc narratif, assez similaire à celui qu'on aura trois générations plus tard avec Nabil, lui fera prendre conscience que la quête des badges n’est pas vraiment ce qu’elle a envie de faire, et va poursuivre son voyage avec ses Pokémon car elle estime que c’est le plus important. Dans Noir 2 et Blanc 2, elle aura enfin trouvé sa vocation en étant l’assistante de la Professeur Keteleeria.

Ensuite vient N. De son nom complet Natural Harmonia Gropius, il sera présent tout au long de votre aventure pour tester vos liens avec vos Pokémon. Arrivé à la moitié du jeu, il vous révélera qu'il est le Roi de la Team Plasma. Cette organisation d'Unys milite pour la libération des Pokémon de leurs dresseurs. 

N a grandi presque exclusivement auprès de Pokémon maltraités par leurs dresseurs, ce qui a convaincu ce dernier que les Pokémon doivent être libres. Pour mener à bien ce rêve, il est prêt à devenir ironiquement ce qu'il déteste : un dresseur. Pourtant vos nombreuses rencontres vont petit à petit éroder sa vision du monde. Il voit en vous son alter ego et vous baptisera lui-même comme étant "son antagoniste". Pour atteindre son but, il réveillera Zekrom, le Dragon Légendaire incarnant l'Idéal et vous invitera à trouver son opposé Reshiram, le Dragon Légendaire incarnant la Réalité pour vous opposez à lui. Mmh ? Ça peut être l'inverse ? En effet, ceci est l'histoire racontée dans la version Noire. Dans la version Blanche vous ferez face au Reshiram de N avec votre Zekrom. 

Et c’est hélas un peu le problème de cette quête d'Idéal/Réalité de N : elle souffre de la réduction des concepts du Yin et du Yang aux termes Réalité et Idéal, qui sont présentés ici davantage comme des placeholders que comme de vraies positions. Dans les faits, la quête de N est de créer une utopie, ce qui par essence est un idéal, ce qui le rattache davantage à Zekrom, et nous, joueur, en tant que défenseur de la bien réelle société Dresseur-Pokémon, sommes davantage rattachés à Reshiram. 

Quand vous parvenez à le battre dans son Palais, celui-ci réalise qu’avant de libérer les Pokémon, son objectif était avant tout de favoriser le bien-être des Pokémon, et c’est à votre contact qu’il a compris que ces derniers pouvaient aussi être heureux en étant au contact des humains. Ce sont ces liens que vous avez créés avec vos Pokémon qui vous ont permis de franchir les épreuves de votre aventure et N, ayant lui aussi endossé le rôle d’un dresseur, l’a également compris. Vos visions du monde ne sont pas opposées, elles sont complémentaires.

Enfin vient Ghetis, l'un des Sept Sages de la Team Plasma, père adoptif de N et véritable antagoniste de la cinquième génération. Ghetis est un personnage assez atypique dans l’histoire de Pokémon. Pour commencer il s’agit du tout premier personnage que l’on voit durant l’introduction de Noir et Blanc.


Aucune intro de la série n'a mis à ce point les antagonistes en avant

Ensuite, on le rencontre très tôt au cours de l’aventure pour le voir animer un meeting et exposer son message sur la libération des Pokémon avec une rhétorique très inhabituelle pour les standards de la série (je vous laisse ici un article qui revient plus en détail sur les figures de style qu'il emploie durant son meeting). C’est durant la bataille finale au Palais de N qu’il révélera sa véritable nature : celle d’un homme profondément mauvais et assoiffé de pouvoir. Il a manipulé son fils adoptif pour en faire un pion pour assouvir ses rêves de domination mondiale. Il n’éprouve pas la moindre empathie, que ce soit pour les Pokémon ou pour les humains, qu’ils considèrent au mieux comme des outils, et au pire comme des êtres inférieurs qui doivent s’agenouiller devant lui. La défaite de son fils le mettra dans une rage folle. Il le rabaissera froidement, ne lui octroyant même pas le statut d’être humain (ce qui a, entre autres, amené certains joueurs à émettre l'hypothèse que N serait en fait un Zoroark qui aurait pris forme humaine).

Durant Noir 2 et Blanc 2, il ne prendra plus de gants (enfin si vu qu’il en portera dans ce jeu mais vous voyez l'idée) et décidera d’attaquer frontalement Unys. Contrairement à son fils qui est parvenu à mettre de la nuance dans son idéologie grâce aux actions du joueur, Ghetis la réfute complètement. Il veut le pouvoir total et absolu. Certaines de ses phrases ne laissent peu de place au doute sur ses possibles origines royales, ce qui accentue encore plus son côté despotique.

Pour parvenir à ses fins, il aura recours à un canon frigorifique alimenté par Kyurem, le troisième Dragon Légendaire d’Unys. Et c’est une bonne occasion pour revenir un peu sur le Taoïsme. Zekrom et Reshiram représentent respectivement le Yin et le Yang. Originellement, ils n’étaient qu’un seul et unique Pokémon mais celui-ci s'est divisé et tout ce qui reste de lui est la mascotte du futur Légendes Pokémon : Kyurem

Vous allez adorer l’ancêtre de Ghetis en tant que rival amical.


Blague périmé depuis le Pokémon Present du 27/02/2024

Ainsi le Pokémon Frontière représente le Wuji, un concept du Taoïsme qui représente le néant primordial d’où émerge le Tao, et comme celui-ci représente le mouvement par opposition, le Wuji quant à lui représente donc l'immobilisme. Il est composé de Wu qui peut se traduire par “néant” ou “vide”, et Ji qui vient de Chi et qui signifie “énergie” ce qui pourrait se traduire par absence d’énergie, ce qui colle bien aux descriptions Pokédex de Kyurem qui le décrivent comme étant un être “incomplet” né de sa séparation avec Reshiram et Zekrom.

Cela est aussi très bien traduit dans les types de ces trois Pokémon Légendaires.
Si vous vous rappelez encore de vos cours de physique, alors vous n’êtes pas sans savoir que le concept de chaud et de froid est moléculairement basé sur le mouvement des atomes. Ainsi, plus un élément a ses atomes en mouvement, plus il est chaud et à l’inverse, moins ils sont en mouvement, plus il est froid. Ainsi le Type Feu de Reshiram et le Type Électrik de Zekrom symbolisent le mouvement du Taoïsme par la chaleur qu'ils génèrent avec leurs réacteurs caudaux, tandis que le Type Glace de Kyurem représente l'immobilisme du Wuji. De plus, son type évoque également son origine, car il serait arrivé à Unys dans une comète, un objet céleste composé de roches et de glaces.

Pr. Von Kartoffel

Dites donc jeune homme, n’avez-vous pas l’impression que vous êtes en train de me piquer mon travail ?

Kyurem est donc un Pokémon taillé sur mesure pour Ghetis. On pourrait s'arrêter là dessus mais il y a une dernière chose que j'aimerai aborder. 

Comme on l’a dit précédemment quand on abordait la formule narrative de la série, les antagonistes dans Pokémon ont connu une certaine évolution au fil des ans :

La Team Rocket de Giovanni dans les deux premières générations était conçue pour être une entité complètement amorale qui faisait le mal en toute connaissance de cause pour son profit personnel.

A partir de la génération suivante, les antagonistes seront animés par des motivations diverses qui les amèneront à commettre des crimes au nom de leurs idéologies.

Et à partir de la septième, il y aura cette séparation entre l’antagoniste principal, qui a ses motivations, et la team antagoniste de deuxième division, qui sont là pour faire diversion.

En toute logique la Team Plasma s’insère dans cette deuxième ère des antagonistes, mais quand on la compare à ses prédécesseurs, on constate que cette dernière représente une sorte de synthèse de toutes les teams précédentes : 

  • D'un côté, elle reprend l’amoralité et l’ambition dominatrice de la Team Rocket avec un côté sectaire et un culte du leader via des discours exaltés, comme le faisait Hélio avec la Team Galaxie. 
  • De l’autre, elle reprend le côté activiste et la lutte pour une cause qu’elle croit juste, comme le faisait les Team Aqua et Magma.

Le fait que la Team Plasma possède deux chefs lui permet d’avoir une certaine nuance au sein de ses rangs : certains apprécient réellement les Pokémon et sont fidèles à la volonté de N d'aider les Pokemon, mais d’autres ne les voient que comme des outils et sont fidèles à Ghetis, ce qui entraînera le schisme de l’organisation dans les suites.

La famille


Artiste : Kawacy et sa compétence Main Divine

A première vue, ça pourrait être étrange de parler de famille dans une série de RPG où notre père est, dans 99% des cas, absent, et que le running gag de la mère plus intéressée par une partie de Scrabble avec le professeur régional que d'élever son gamin est toujours aussi récurrent dans la communauté. 

Les très (très) rares occurrences de ce thème avant la septième génération peuvent se réduire au simple fait que vous, joueur, incarnez un enfant qui entreprend de quitter le cocon familial, personnifié par la mère de votre avatar, pour partir à l'aventure. 

Il s'agit pourtant d’un thème de la série qui a pris une certaine importance depuis l'arrivée d’Ohmori. Initié à partir de l’épisode Delta des remakes Rubis Oméga et Saphir Alpha, avec Amaryllis, dont le rapport à l’héritage de sa famille de dresseurs de dragons est au cœur de ce mini-scénario.

Cette thématique va prendre de l’ampleur dans Soleil et Lune : la relation de Lillie avec sa mère Elsa-Mina porte le jeu. Mais ne ce n'est pas la seule : Lillie adopte le comportement d'une mère protectrice envers Cosmog, faisant tout ce qu'elle peut pour le protéger. Et c'est une fois ce dernier arrivé à maturité en devenant Solgaleo ou Lunala que Lillie accepte de le laisser voler de ses propres ailes et partir à l'aventure avec vous.

C'est pour cette raison que je déteste autant le scénario d'Ultra Soleil et Ultra Lune, car toute cette relation est balayée pour faire de la place à Ultra Necrozma, les Ultra Brèches et plus globalement le concept de Multivers, mais ces derniers sont ultra sous-exploités.

La relation Elsa-Mina/Lillie/Cosmog n'est évidemment pas la seule du jeu à explorer la thématique de la famille. La relation entre votre rival Tili et son grand-père Pectorius est assez importante au début de votre périple à Alola. On explore aussi les relations fraternelles à travers Gladio, et les violences intrafamiliales à travers Guzma, même si honnêtement cela reste assez sous-développé.

Dans Epée et Bouclier, on explore davantage les relations fraternelles à travers celle de Tarak et Nabil. Les deux s'adorent, mais une tension existe entre eux : Tarak est le maître de Galar et Nabil vit constamment dans son ombre. Il cherche à prouver sa valeur en le dépassant mais il perdra petit à petit pied à cause de ses défaites répétées contre nous.
C'est aussi un élément qui pourrait être repris de Stand By Me car Gordie, l'un des personnage de la bande d'amis avait un frère aîné, petite star du football local, décédé dans des circonstances tragiques. 


Regardez il porte même la casquette de Tarak

Il est constamment comparé à son défunt frère, et l'un des enjeux du film sera pour lui de s'en extirper et trouver sa voie, tout comme Nabil qui décide d'abandonner la voie du Maître pour devenir un Professeur Pokémon (ce qui est un peu contradictoire avec le fait qu'il capture le deuxième Loup Légendaire, qui fait de lui de facto le deuxième dresseur le plus puissant de Galar mais passons).

La neuvième génération explora justement ce thème connexe à la famille qu’est le deuil. Si cela avait déjà été évoqué à travers les évènements de la Tour Pokémon ou certains personnages comme Goyah qui a perdu son premier Pokémon, Matis qui recherche le Chacripan de sa sœur qui est aussi le dernier souvenir de son défunt grand-père, ou Elsa-Mina qui n'arrive pas à faire le deuil de son mari, ici le deuil aura une importance centrale dans l'histoire de Pepper ainsi que dans la conclusion de votre aventure à Paldea.

Maintenant, s'il fallait donner un défaut à cette thématique, c'est que, contrairement aux autres énoncées jusqu'à présent, elle ne concernera jamais directement votre avatar puisque ce dernier est une page blanche. 

En terme de gameplay, c'est aussi quelque chose qui a du mal à exister dans le monde de Pokémon, car ces derniers n'ont (toujours) pas vraiment d'interactions entre eux en dehors du combat. Donc mise à part éventuellement la (très) douteuse mécanique de reproduction, aucune mécanique de jeu ne met en avant cette thématique.

Fichier:Famignol (Famille de Quatre)-EV.png
Bon aller on va être gentil on va quand même mentionner Famignol

Par conséquent, si ni le joueur ni le gameplay explorent le sujet de la famille, alors ce dernier ne peut être abordé uniquement qu'à travers les autres personnages, et donc ne peut dépendre que de leurs écritures et de leurs mises en scène. Et c'est assez symptomatique des problèmes d'écriture des jeux d'Ohmori, qui mise tout sur les personnages secondaires pour raconter leurs histoires en délaissant le rôle du joueur pour le réduire à celui d'un simple témoin des événements.

Encore une fois, ça ne veut pas dire qu’il est impossible d'être impliqué dans ce que les personnages racontent. La famille étant un sujet suffisamment universel pour que chaque joueur ait la possibilité de se projeter et de développer de l'empathie pour ces personnages. 


J'ai par exemple une certaine affection pour les histoires de Matis, Lillie et Pepper

Toutefois, on ne peut pas ignorer le fait que ces intrigues représentent une part significativement faible de votre temps de jeu total et peuvent donc paraître bien moins engageantes que ce que vous faites le reste du temps, à savoir explorer la région et combattre.

Et c’est bien dommage car c’est un sujet auquel Ohmori est très attaché : il a lui-même perdu ses parents quand il était jeune. Certains de ses personnages, notamment Pepper, sont en partie inspirés de ce triste épisode de sa vie. Étant donné sa récurrence, il y a fort à parier que cette thématique reviendra dans la dixième génération si Ohmori est de nouveau aux commandes, et je ne peux qu'espérer qu'il parvienne à mieux la mettre en avant.

Bon… eh bien je crois qu’on fait le tour. Il est temps de conclure.

Conclusion

Bon… alors au final que retenir de ce long charabia ?

La narration des jeux Pokémon, si elle paraît assez similaire d'un jeu à l'autre, a en réalité connu une certaine évolution au fil de ses opus.

Originellement, la création de Tajiri n’avait pas pour ambition de raconter une histoire riche et complexe. Ce n'était qu'un prétexte pour habiller des mécaniques de jeux. Le reste des éléments qui composaient les jeux, à savoir la construction des régions, des villes, des donjons, la composition des équipes des PNJ, le placement des Pokémon dans l'espace de jeu, les systèmes de capture et de combat allaient tous dans un même sens : proposer au joueur une aventure personnelle dictée par ses choix. Ça ne voulait pas dire pour autant que les premiers jeux ne racontaient rien. On trouvait en filigrane un propos sur la protection de l'environnement et une critique de l'urbanisation sauvage du Japon à la fin du siècle dernier.
Les successeurs de Tajiri ont voulu poursuivre ce message, en l'amenant plus loin et en explorant des choses différentes en mettant davantage en avant le scénario et les personnages. Malheureusement, les techniques employées pour développer ces aspects ne se montrent pas assez travaillées pour être qualifiées de vraiment réussies : écritures maladroites, perte d’autonomie et fausse liberté donnée au joueur pendant les dialogues, mise en scène plate, absence (effarante) de voice acting. 

Et bien évidemment, ces problèmes se cumulent avec des cycles de développement maintenant bien trop courts, des difficultés à trouver un ton approprié pour contenter une communauté si hétérogène, et cette obligation auto imposée des créateurs à suivre une formule narrative qui devient de plus en plus lassante à force d'être répétée.

Maintenant, la question à un million de Pokédollar qui ne va pas manquer de faire débat : 

Est-ce que les jeux Pokémon ont besoin d'avoir un scénario développé pour exister ?

Après tout, s'il s'agit de son élément le plus faible et ce depuis ses origines, et qui souffre de plus en plus des délais de développement, ne vaudrait il pas mieux s'en passer et retourner à un scénario prétexte ? 

Le récent passage de la série au format open world est assez propice à ce type de scénario minimaliste, en proposant des mini-intrigues locales déconnectées les unes des autres, mais qui développe au fur et à mesure l'univers. Game Freak a choisi de reprendre la structure trop structurée de la quête principale de Breath of the Wild pour Écarlate et Violet, mais la 9G étant toujours l'unique représentation de la série sous ce format, rien ne garantit que cette structure sera maintenue pour la dixième génération.

Plus extrême dans cette proposition, on a Pokémon ROWE, une hackrom d'Émeraude. Le  principe de ce hack est que vous pouvez commencer l'aventure dans n'importe quelle ville d’Hoenn. Les obstacles sont retirés et vous pouvez aller où vous voulez à n'importe quel moment, puisque la difficulté du jeu se scale sur votre progression. Pour permettre cette liberté gigantesque, tous les événements du scénario sont purement retirés. Cela focalise l'expérience de jeu sur les trois boucles de gameplay de la série : l’exploration, la capture et le combat.

Cependant, est-ce que c’est ce que désire vraiment Game Freak ? Mmmmmh… pas sûr. Comme on l’a dit, les bases de gameplay de Pokémon sont anciennes. On peut même affirmer sans trop se forcer que ça fait déjà plusieurs générations qu’elles sont plus ou moins figées. Pourtant, malgré les impératifs de conception de nouveaux Pokémon et de la région qui occupent une place prépondérante durant le développement, on sent une volonté sincère des développeurs à continuer malgré tout à raconter des histoires plus ou moins adroitement, car fatalement c'est l'une des seules choses qui peut être vraiment différente d'un opus à l'autre.

La narration des jeux Pokémon est donc un peu coincée. Coincée entre une envie compréhensible de proposer des expériences narratives plus développées, mais en restant fidèle à une structure de jeu qui ne s'y prête pas forcément. 

Du côté des joueurs, il est assez difficile de déterminer une tendance globale de la communauté sur la vision de ce que doit être un scénario d’un jeu Pokémon, car il existe potentiellement autant de réponses qu'il y a de joueurs. Sans compter le fait que l'intérêt des joueurs pour ces scénarios est très variable : entre le joueur compétitif, le joueur chasseur de shinies et le joueur amateur du lore et des intrigues, les attentes ne sont pas les mêmes. Et au milieu de tout ça, ben il y a des joueurs comme moi qui s’intéressent aux jeux Pokémon dans leur globalité et qui sont un peu tristes de voir que cet aspect du jeu ne parvient pas à atteindre son plein potentiel.

Ce potentiel inexploité, de nombreux fans le ressentent, et c’est ce qui a sans doute mené une partie d’entre eux a tenté de créer leurs propres histoires en réalisant des fangames. Mais encore une fois, les créateurs ont des sensibilités très différentes et beaucoup de ces fangames comme Pokémon Uranium ou Empyrean, même s'ils sont très bons mécaniquement,  présentent des ruptures de ton marquées avec les scénarios des jeux principaux, ce qui peut rebuter. 

Même entre GM et moi, nous ne partageons pas forcément le même point de vue sur ce que serait le scénario idéal.

 GM, analyste et membre de L'église de Looking Glass

Au risque d’être provocateur, le scénario idéal de Pokémon à mes yeux est minimaliste. La série a, depuis ses débuts, une proposition narrative très forte qui n’a pas besoin de se reposer sur un scénario développé, et comme on l’a vu, celui-ci a même au contraire souvent tendance à lui faire de l’ombre en enfermant le joueur dans des tunnels de dialogues mal écrits et de scènes scriptées mal mises en scène. Je suis partisan d’un scénario en retrait, sur le modèle de celui de la première génération, qui laisse à notre quête personnelle et aux thématiques développées par l’univers l’occasion de briller. 

Drem, rédacteur et membre de l'église de Sainte Komi

Pour moi, le scénario idéal ne serait pas forcément très différent de ce qu’on a eu jusqu’à présent. Si je suis loin d'être réfractaire à l'idée que la série change radicalement, je ne suis pas pour autant opposé à ce qu'elle conserve sa structure narrative. Je considère en revanche qu'un énorme travail sur l’enrobage de ce scénario est nécessaire. Ainsi j’aimerai que la série cherche à travailler ses à-côtés : sa mise en scène, son écriture, ses personnages, ses dialogues (du voice acting bordel !) afin qu’on ait l’impression d’avoir entre nos mains un jeu qui ressemble à un AAA bien fini et réalisé par un studio qui détient la licence la plus lucrative au monde. Je souhaiterai aussi qu’une réflexion approfondie soit faite sur le rôle de notre avatar.  Celui- ci doit être un acteur de l’intrigue, et non un spectateur. Il faut approfondir sa caractérisation et laisser plus d'options au joueur pour s’exprimer : choix de dialogues plus intéressant et des motivations plus claires.

Quel avenir pour la narration dans Pokémon ?

C’est à ce moment de l’écriture de l’article que l’actualité nous rattrape, car Légendes Pokémon : Z-A vient tout juste d’être annoncé pour 2025. En plus d’avoir surpris tout le monde et rendu deux blagues de cet article obsolètes, cette annonce confirme que la série Légendes fait maintenant partie des meubles et reviendra très certainement à l’avenir. 

Alors, je n'ai toujours pas joué à Légendes Pokémon : Arceus, mais je considère son existence comme précieuse, car bien qu’ayant une technique IN-QUA-LI-FIA-BLE et une boucle de gameplay centrée sur la capture répétée qui ne m'attire guère, elle a le mérite de proposer une structure narrative vraiment différente. Avec une date de sortie si proche de son prédécesseur (rappelons que l’épisode à Hisui est sorti en janvier 2022), la prudence est évidemment de rigueur, mais j'espère sincèrement que ce nouvel épisode centré sur Zygarde poussera encore plus loin cette différence et que par effet de domino cela influencera la narration de la licence principale.

Ainsi, on pourra espérer que les scénarios des jeux Pokémon ne seront plus considérés comme une faiblesse, mais une force qui portera la série vers de nouveaux horizons.

Ainsi se conclut ce deuxième épisode de Disséquons Pokémon. 

Pfiouuuuuuuu….

Nous sommes le 13 mars 2024 à 00:14 quand je commence à écrire ce paragraphe. Quand j’avais commencé à écrire les premières idées de l’article, c’était en février 2023 à la veille de la sortie de la première dissection sur les versions. Ça va faire donc plus d’un an que je prépare cet article. Je vous le cache pas, je suis un peu lessivé. Ce fut une expérience très éreintante : j’ai alterné les périodes où mon cerveau bouillonnait d’idées que je jetais sur Docs sans même réfléchir à un quelconque plan, et celles où j’étais complètement sec, incapable d’écrire la moindre phrase. Je me suis plusieurs fois questionné sur ce que j’étais en train de faire : 

  • Est-ce que le propos est pertinent ?
  • Est-ce que j’ai suffisamment développé ce qui méritait de l'être ?
  • Est-ce que j’ai la confiance nécessaire pour assumer tout ce que j’allais écrire ?
  • Aurait-il fallu que je parle davantage de Noir 2 et Blanc 2 et Matis ? (en vrai j’aurai pu)
  • Y avait-il vraiment rien d’intéressant à relever sur le scénario de X et Y ? (Non)

J'ai eu par moment envie de tout arrêter, tellement la tâche me paraissait sans fin. Mais, telle ma Guerrière de la Lumière, j'ai gardé espoir et j’ai continué à avancer. 

Écrire cette rubrique, c'était mon but en rejoignant l'équipe de Pokémon Trash : je voulais décortiquer cette série pour mieux comprendre cette fascination que j’ai pour elle malgré ces nombreux défauts. Et je ne compte pas m'arrêter là. Mais pour l’heure j’ai besoin d’un repos bien mérité.

Avant de se quitter j’ai quelques remerciements à faire : 

Déjà, un Méga merci à GM, qui m’accompagne à l’écriture et sans qui cette rubrique ne pourrait simplement pas exister. Je ne peux que vous inviter à découvrir Esquive la Boule de Feu, sa chaîne Youtube spécialisée dans le game design. 

Merci à Fean qui m’a donné l’idée de la miniature de l’article et à participer à sa conception.

Merci à Lunoray pour m'avoir autorisé à emprunter le Pr. Von Kartoffel de sa série C'est Pas Sorcilence, et à laquelle je vous invite aussi à jeter un oeil.

Un grand merci à tous les correcteurs de Pokémon Trash qui ont bravé les… 1, 2, 3, 4… three eternities later 20908 mots de l’article et mes trop nombreuses fautes (je veux un #respect_correcteurs dans chaque commentaires en dessous de l’article).

Un grand merci à Monsieur Plouf, Pseudoless, Arkausey, Malison, Trxns, Nostalgeek, Kubgi, Alt 236 et Karim Debbache pour m’avoir accompagné en fond sonore durant cette longue écriture.

Un grand merci à mes collègues de taff, pour supporter ce jeune qui passe ses pauses déjeuner sur son téléphone à chercher des informations et écrire des trucs.

Un immense merci Falkenbax et i just work, mes chers compagnons aux poils soyeux. Merci de m’avoir soutenu et merci pour tous ces moments qu’on a partagé et qu’on partagera encore. 

Et enfin bien évidemment merci à vous chers lecteurs de Pokémon Trash pour votre patience et votre curiosité.

La prochaine fois on s'attaquera à un autre gros morceau de la série : son monde. 

Par Dremaak
Edité par DeadSpark
  • swoo 26/04/2024 à 22:54
    C'était hyper intéressant merci beaucoup :)
  • Pavel 12/04/2024 à 22:09
    Et ben, merci pour le boulot, c'était très intéressant et divertissant !