Dossier Pokémon

Disséquons Pokémon 2 : La narration

Partie 2 : L'écriture

Partie 1 : Les auteurs du Pokémonde <=                 => Partie 3 : Les Thématiques

Bienvenue dans la seconde partie de cette dissection consacrée à la narration des jeux Pokémon. Après avoir fait le tour de ses réalisateurs dans la partie précédente, il est temps de rentrer dans le vif du sujet. On va parler ici de la structure narrative, de l'écriture et de la mise en scène des dialogues. On va s'intéresser à leurs origines, de comment elles ont évolué au fil des épisodes ainsi que leurs qualités et défauts.

Sommaire

L'écriture

Bon… il y a un Pachyradjah Gigamax au milieu de la pièce et on va se dépêcher de l’évacuer dans la Boite 8 du PC. Vous êtes prêt ? Bien. Hum hum hum : 

Que ce soit les opus de Tajiri où ils sont très en retrait ou ceux de Masuda et Ohmori riches de thématiques, certes, mais racontés maladroitement, AUCUN jeu principal de la licence ne peut raisonnablement prétendre avoir un scénario ayant marqué le monde du RPG ou retourné la tête de ses joueurs comme l’aurait fait un Final Fantasy, un Persona ou un Xenoblade Chronicles. 

Et pour une licence qui est aujourd’hui la plus lucrative au monde et ayant été fondée sur une série de jeux vidéos, cela peut paraître très curieux.

Ecrire un jeu Pokémon est en réalité une entreprise relativement casse-gueule pour les scénaristes de Game Freak et ce pour plusieurs raisons :

Première raison : Le temps de développement alloué au scénario

C’est une information qu’il ne faut pas négliger.

Pokémon est une série dont les bases de gameplay sont bien enracinées depuis presque trente ans. On pourrait croire que les équipes de développement chercheraient à mettre une certaine emphase sur le scénario car c’est l'une des seules choses qui peut être vraiment différente d’un opus à l’autre mais vous vous doutez que cela n’est pas aussi simple que ça.

Si on ne connaît pas de manière exacte le processus créatif des jeux, il paraît assez évident que ce sont les Pokémon en eux-mêmes qui sont imaginés dans un premier temps dans le but évident de préparer tout le merchandising de la licence.

Ces Pokémon sont conçus avec le cadre qui les entourent, c'est-à-dire la région, ses différents biomes et ses thématiques, puis mécaniquement avec leurs caractéristiques de combat. C’est pour cela qu’en toute logique tout ce qui concerne le scénario, les personnages et les dialogues sont écrits dans un second temps. 

Dans cette configuration, il est nécessaire d’avoir un temps de développement suffisamment long afin d’écrire et intégrer aux mieux les événements scénarisés dans la progression. 

Maaaiiiiiis … quand tu as moins de trois ans pour faire un jeu, cela devient très vite compliqué. Il est bon de rappeler que la durée moyenne d’un développement d’un jeu AAA est de 3 à 4 ans. 


Elden Ring a demandé 5 ans de développement et un crunch infernal


Zelda TotK en a demandé 6, dont pas moins d’une année complète à tout peaufiner

Ce rythme de développement intenable, qui est imposé par la cupidité Sans Limite des actionnaires de The Pokémon Company, gangrène les équipes de Game Freak depuis des années. Puisqu’avec les nouvelles technologies, les jeux deviennent de plus en plus complexes à développer mais la durée de développement et les effectifs, eux, ne suivent pas. 

En conséquence, le scénario et la technique sont les deux grands sacrifiés lors du développement. 

Cela ne veut pas dire que l'intrigue est une catastrophe sans nom, mais on est tout de même assez loin d'une grande réussite. On remarquera en faisant attention que certaines parties du scénario sont rythmées de manière étrange quand elles ne sont pas complètement ratées et qu’elles révèlent de façon dramatique le manque de temps de développement :

Prenons deux exemples : 

En 6G, le climax scénaristique intervient à l'obtention de votre septième badge : Lysandre lance un appel téléphonique à tous les possesseurs d’Holokit de la région annonçant qu'il va détruire Kalos, ses habitants et ses Pokémon en utilisant le pouvoir de Xerneas/Yveltal. Pourquoi ? Parce qu'il trouvait le monde … *soupir* … moche.

Karim Debbache, trésor national

C'est le plan de méchant le plus débile de l'histoire des plans de méchants.

Le problème du scénario de la 6G, outre sa stupidité sans nom, c'est que les actions de la Team Flare qui précède ce climax ne constituent pas une conclusion satisfaisante.

Beaucoup d'événements liés aux sbires semblent faire écho aux actions de la Team Rocket à Kanto :

  • La recherche de fossiles à la Grotte Étincelante évoque celle du Mont Sélénite.
  • L'affrontement sur la Route 10, qui est un mémorial des victimes de l'Arme Ultime, fait écho aux événements de la Tour Pokémon.
  • Et le vol à l'Usine de Pokéball rappelle la tentative de vol de la Master Ball à la Sylph Sarl.

La différence c'est que la Team Rocket a un but concret : amasser fortune et pouvoir. C'est simpliste mais cela permet de justifier chacune de leurs exactions à Kanto et Johto.
A Kalos, on a bien plus de mal à comprendre en quoi les actions de la Team Flare sont nécessaires à l'activation de l'Arme Ultime. Cela donne l'impression que le scénario ne démarre pas avant l'intervention téléphonique de Lysandre. Quelque chose dont souffrait déjà la quatrième et la cinquième génération mais dans des proportions bien plus modestes.

Après cet appel, le jeu tape un sprint effréné jusqu'à la capture de Xerneas/Yveltal qui n'a aucune saveur puisque la 6G occulte complètement le segment consacré habituellement à la recherche du Légendaire dans la région, qui était pourtant présent dans les opus précédents et qui servait de build up à votre rencontre avec la créature, pour en faire une simple rencontre sur votre chemin. Et après ça on nous laisse deux petites heures de jeu pour obtenir le huitième badge et faire la Ligue. 

Autre exemple similaire en 8G : on a droit à ce passage complètement surréaliste où on se met à rentrer dans le lard de toute une garnison de dresseurs qui s’occupe de l’administration de la Ligue de Galar, car Nabil avait la flemme d'attendre le retour de son frère Tarak, en entretien avec le patron de la Ligue tout de même, pour aller grailler. Puis intervient cette étrange scène où Tarak et Shehroz discutent et où ce dernier révèle ses motivations.

Étrange, parce que contrairement à l’intégralité du jeu, cette cinématique est réalisée via trois images fixes. Pourquoi ce choix ? Pour appuyer la révélation sur le fait que Shehroz est l’antagoniste de la 8G ? On le savait déjà depuis le début de ce segment. Pour faire classe ? C’est juste des slides PowerPoint. Par manque de temps pour animer les personnages et le décor de la ville en 3D ? Aaaaah peut-être.
Et je rappelle que ce passage constitue votre unique altercation avec Macro Cosmos qui sont les “vrais antagonistes” d'Épée et Bouclier et qui arrive dans les deux dernières heures de l’aventure.


Aucune référence à Twitch Plays Pokémon ne pourra sauver ton cas désespéré, jeu

Avec cette pression temporelle sur les épaules, les équipes en charge du scénario partent déjà avec une belle épine dans le pied. Et c'est pas fini car maintenant qu'on a la deadline, il va falloir commencer à l’écrire, ce scénario, et il faut maintenant se demander à qui il s’adresse.

Deuxième raison : Le public visé

"Pokémon c’est aussi pour les grands”

Je pense que vous connaissez tous cette devise. C’est même plus qu’une devise : c’est une vérité. La franchise Pokémon possède un public extrêmement large : enfants, ados et adultes jouent à Pokémon. Mais Pokémon reste un jeu classé CERO A, équivalent japonais de notre Pegi 3 et Pegi 7 fusionné en une seule notation, ce qui veut aussi dire que le scénario se doit d’être intelligible pour les enfants, ces pauvres êtres en construction dont les auteurs de notre cher studio japonais sous-estiment grandement l'intelligence. 

Il est plutôt facile de penser que ce classement constituerait une contrainte qui limiterait ce que les scénaristes peuvent raconter et montrer, mais en réalité ce n'est pas aussi contraignant qu'il y paraît et il est tout à fait possible de raconter une histoire riche et intéressante avec cette classification. A condition bien sûr de s'en donner les moyens.

Pour raconter cette histoire, les scénaristes de Game Freak emploient un ton qui est à la frontière entre l’enfantin et l'infantile


Merci à Monsieur Plouf pour m’avoir permis de mettre les mots justes sur ce point

Expliquons la différence entre les deux :

Une histoire enfantine désigne une histoire destinée aux enfants mais qui s’adresse aussi aux adultes. Elle se caractérise très souvent par l’existence d’un sous-texte permettant de voir un deuxième niveau de lecture qui ne peut être compris que par des adultes. Pour donner un exemple, on peut citer le cas du film E.T. l’Extraterrestre (1982).

Les enfants n’y verront qu’un film sur l’amitié entre un enfant et un extraterrestre, mais aux yeux d’un adulte, on peut y déceler une métaphore sur le deuil. En effet, Elliot, héros du mythique film de Steven Spielberg, a été très impacté par l’abandon de son père et E.T. (hoho) pourrait être vu comme une figure paternelle de substitution. Le fait qu’il sache dès le départ que l’extraterrestre doit retourner chez lui et qu’il l’aide à y parvenir avec la création du téléphone peut être symbolisé comme l’acceptation du départ de son père. Et même si le départ de ce dernier lui crée un manque et le fait souffrir, il sait qu’il sera toujours là, dans ses souvenirs, au fond de son cœur.

Pour vous donner un exemple plus Pokémonien, on peut citer le cas d'Elsa Mina dans Soleil et Lune (et pas dans son “”extension”” pourrie vendue 50 balles !) qui explore aussi ces thématiques de la famille et de l’abandon de manière plutôt habile. L'obsession de la directrice d’Aether pour les Ultra Chimères et son empoisonnement dû aux toxines de Zéroïd, affectant sa personnalité, peut être vu comme une métaphore d’une mère de famille qui plonge dans une addiction (alcool, stupéfiants, travail, Final Fantasy XIV) à cause de la disparition de son mari. Cette souffrance due à ce deuil qu’elle n’arrive pas à faire, auquel on ajoute cette addiction, a complètement occulté son amour pour ces enfants.

Soleil et Lune sont bourrés de défauts mais on peut pas dire que le traitement de Lillie et de sa mère soit un échec

Ce type d'écriture n'est évidemment pas une chose facile à concevoir, en particulier quand ta hiérarchie t'impose un temps de développement bien trop court, pourtant la licence Pokémon n’a pas hésité à aborder de nombreux sujets au fil de ses épisodes. Mais pour que ces derniers aient un poids, il faut qu'ils soient racontés et mis en scène avec soin sinon l'importance du message sera diluée et perdra son sens. Et malheureusement cela nous mène de l'autre côté de la balance.

On y retrouve donc l’infantile qui consiste à prendre les joueurs pour… hmmm… comment rester poli ? Des idiots ? Ça c’est beaucoup plus facile à déceler. C’est quand le jeu passe son temps à glorifier, dans de nombreuses et passionnantes cinématiques, la moindre de vos actions pour vous dire à quel point vous êtes un dresseur exceptionnel, qu’ils n’ont jamais vu de tel lancer de Pokéball, notre maîtrise de la table des types juste avant de nous lancer une attaque pas très efficace sur notre Pokémon.


N’est-ce pas Nabil et Menzi ?

Cette infantilisation outrancière du joueur se traduit par d’autres biais, notamment, et surtout en fait, par le gameplay, mais nous reviendrons dessus une prochaine fois. 

Toujours est-il qu’au fil des épisodes cette balance a penché de plus en plus du côté de l'infantile que de l'enfantin. Et c'est un problème quand ton public possède une si grande hétérogénéité : le jeune public appréciera peut-être ce brossage frénétique dans le sens du poil, mais le public plus âgé et expérimenté ne pourra que très difficilement ne pas rouler des yeux et constater amèrement qu'il est partiellement, voire totalement déconnecté d'une histoire qui ne lui est plus destinée. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que consacrer une grande partie des dialogues à se faire constamment cirer les pompes pour avoir triomphé d’une adversité disons… très relative, ne sert absolument à rien dans le développement d'une intrigue.  

Certains d’entre vous pourrez m’objecter que la série a toujours eu cette écriture très infantile, mais en réalité ce n’était pas le cas à ses débuts.

En effet, les deux premières générations en étaient entièrement dépourvues, et la troisième quasiment : que ce soit dans la manière de présenter leurs mécaniques, dans la manière qu’avaient les PNJ de s’adresser à nous, dans les indices donnés pour accompagner la progression, ces générations respectaient l’intelligence du joueur, même enfant.
La valorisation de vos succès en tant que dresseur était rare. Il n'y avait pas de personnages faire-valoir comme les rivaux de la sixième génération pour vous cirer les chaussures de course. Cela rendaient chacune de vos victoires d'autant plus impactante :
Les personnes que vous sauviez de la Team Rocket vous récompensaient avec des choses utiles comme la Pokéflute ou un Lokhlass.
Les Champions d'Arènes, souvent hautains avec vous avant l'affrontement,  se montraient bien plus amicaux après votre victoire.
Et enfin vous avez la reconnaissance ultime, celle de votre mentor : le Prof. Chen.  Lors de votre victoire finale à la Ligue Pokémon, celui-ci célèbre votre triomphe, mais en plus de ça il se permet de faire la leçon à votre rival pour ne pas avoir élévé ses Pokémon avec amour, ce qui a été la raison de sa défaite contre vous. Votre rival d'ailleurs a nié pendant toute votre aventure chacune de vos victoires contre lui, ce qui motive d'autant plus le joueur à lui rabattre son caquet, et cette leçon qu'il reçoit de son propre grand-père alors qu'il était au sommet du monde est d'autant plus satisfaisante.

Enfin, ce qui termine cette absence d'infantilisation du joueur c'est l'écriture des dialogues. Si vous avez joué aux opus RBJ et OAC vous devriez comprendre là où je veux en venir. La traduction française des dialogues des deux premières générations, que nous a offert Julien Bardakoff, traducteur des deux premières générations et des noms des 251 premiers Pokémonfaisaient la part belle au langage familier en utilisant le verlan,  l'argotique et autres curiosités linguistiques qu'on retrouve dans les quartiers populaires. L'usage de ce type de langage n'est pas anodin puisqu'il était vraiment utilisé dans les cours de récré, et qui rappelle par certains aspects ce qu'on pouvait trouver dans des BD centrées sur les enfants, comme Titeuf par exemple. L'objectif affiché de cette écriture était de rendre l'univers familier aux joueurs, que ce soit des enfants ou des adultes qui auront vécu ces conversations. Ces jeux parlaient aux enfants, mais aussi à l'enfant qui est en nous.

Ce style d'écriture disparaîtra progressivement à partir de la 3G, même les remaked Rouge Feu et Vert Feuille (2004) n'en bénéficieront pas. Les personnages du Pokémonde parleront tous avec un phrasé parfait, ce qui malheureusement donne moins l'impression d'évoluer au sein d'un univers vraisemblable où les enfants ont le premier rôle, mais plutôt comme une transcription de ce qu'un adulte imagine comme étant les interactions entre enfants, alors qu'il a vraisemblablement oublié ses propres conversations qu'il avait étant enfant.

S'il restera quelques dialogues un peu pêchus, notamment en 5G avec Ghetis qui utilise des figures de style assez élaborées, on a globalement perdu une partie de l'originalité des dialogues qui sont donc maintenant, en omettant les glorieuses retranscriptions d'expressions centrés sur les animaux de notre monde par des équivalents du Pokémonde, complètement génériques. 

Pris tout seul ça n’en constitue pas un défaut fatal, mais ça se cumule avec un autre point qui est la présence plus fréquente des cutscenes et des dialogues avec les principaux PNJ. Ces derniers étaient initialement plus sporadiques et concis dans les opus en 2D. Cela était dû aux limitations techniques et à la mémoire des cartouches Gameboy, mais cela permettait un meilleur rythme avec moins de phases passives dédiées à la lecture.

On pourrait croire qu'en augmenter la durée et la fréquence serait une chose bénéfique, puisque cela permettrait de tisser une relation plus importante avec les personnages, mais comme on le verra dans quelques lignes, cela a eu, au contraire, pour effet de révéler les faiblesses narratives de la série. Et quand on a une écriture de faible qualité (de surcroit bien trop longue), cela devient une corvée à supporter qui hache le rythme de notre progression. Cela provoque fatalement sur la longue un sentiment de lassitude, voire une perte d'intérêt, dans ce que les jeux racontent. 

Cela ne veut pas dire qu’il est impossible d'être impliqué dans ce que les jeux racontent, mais disons que l'appréciation que nous en aurons dépendra grandement d'autres facteurs qui sont généralement plus d'ordre esthétique, comme le design des personnages ou de la composition de leurs thèmes, que véritablement narratifs.

Les équipes de Game Freak ont donc un temps de développement réduit pour écrire un scénario qui doit être intelligible pour les enfants, mais qui doit aussi être un minimum intéressant pour les adultes. On peut maintenant analyser la construction de ce dernier avec…

La troisième raison : La formule narrative de Pokémon

Cette formule, initiée par Tajiri dans la première génération et complétée par Masuda à la sortie de Rubis et Saphir, est donc la suivante :

Vous, joueur, êtes un enfant mutique d'une dizaine d'années ou plus rarement un jeune adolescent.

Un jour, parfois sans plus d'explications, vous êtes appelé à partir à l'aventure.
Vous rencontrez une personnalité établie dans la région qui vous offre votre premier Pokémon : le starter.

Vous recevez pour tâche de remplir le Pokédex, une encyclopédie. Vous ne serez pas le seul à entreprendre ce voyage car une personne partira en même temps que vous et aura elle aussi un starter. Ce personnage sera votre Rival qui vous affrontera régulièrement pour jauger vos niveaux respectifs. Niveaux que votre équipe va devoir engranger pour devenir plus fort et faire face, sans plus d'explications, à des Champions d'Arènes. Les battre vous octroie des Badges qui vous permettront, après avoir récupéré les 8 de la région, de vous rendre à la Ligue Pokémon pour affronter le Conseil 4 et conclure votre aventure en devenant Maître.

En parallèle de ça, vous serez fréquemment amené à rencontrer une organisation aux intérêts douteux qu'il faudra affronter et défaire, le plus souvent à vous tout seul. Le leader de cette organisation sera souvent responsable de l'apparition du Pokémon Légendaire local au point d’orgue du scénario, et notre personnage sera celui chargé d’empêcher la fin du monde en allant vaincre le Pokémon légendaire en question et les bad guys qui l’ont tiré de son sommeil. 

Revenons un moment sur quelques points importants de cette formule : 

L’appel à l’aventure



On va ici s’intéresser à tout ce qui touche à l'avatar : ses inspirations, son rôle et ses interactions.

Votre avatar est, comme c’est le cas dans beaucoup de RPG, un personnage mutique. C’est une convention ancienne qui remonte au tout premier Dragon Quest sorti sur Famicom en 1986.

Dans le cas de Pokémon, sa filiation avec ce dispositif narratif serait plus à rechercher du côté d’un autre jeu de la Famicom, à savoir Mother sorti en 1989 et développé par Ape Inc. (que l’on connaît plus aujourd’hui sous le nom de Creatures,Inc, l’une des trois entités qui compose The Pokémon Company avec Game Freak et Nintendo).

L’héritage de Mother dans Pokémon est visible à travers plusieurs similitudes : le protagoniste silencieux, le type Psy qui est une référence au PSI qu’utilise Ness et ses amis pour se battre et bien sûr, la plus connu, la ressemblance frappante de Mewtwo avec l’antagoniste Giygas. 

Mais ce serait oublier que des membres de l’équipe de Mother ont travaillé  sur Pokémon Rouge et Vert, dont un certain Tsunekazu Ishihara à la production qui occupait déjà ce poste sur Mother, et qui est de nos jours rien de moins que le PDG de The Pokémon Company.

La filiation entre ces deux séries existe jusque dans le mode aventure de Super Smash Bros Brawl

Mais revenons à notre dresseur muet.
Le silence de votre personnage est plus exactement à la frontière entre le silence dissimulé et le silence réactif

Si les deux termes ne vous parlent pas, comprenez par là qu’un personnage au silence dissimulé s’exprime par l'intermédiaire de choix entre plusieurs réponses dans des boîtes de dialogues. C’est ce qu’on retrouve dans Skyrim ou Persona par exemple.

Celui au silence réactif correspond à un personnage qui s'exprime, mais via des réponses préenregistrées par le jeu, comme par exemple quand un PNJ vous demande votre nom et que le jeu check le nom de votre sauvegarde pour répondre. Une autre manière de faire, très utilisée dans les jeux 3D, consiste à simplement jouer sur les animations du modèle 3D de l’avatar et en particulier sur ses animations faciales et sa gestuelle pour simuler un dialogue. 

De ce fait un personnage, bien que mutique, peut s’exprimer. Malheureusement, dans Pokémon tout ce qui touche à la caractérisation de votre personnage est très très sommaire. 

Par exemple, les raisons qui motivent votre avatar à entreprendre ce voyage. Elles ne sont que peu voire jamais clairement définies et le jeu suppose que c'est votre objectif de base. 

On a tendance à ne pas y faire trop attention car nous sommes, pour la plupart d’entre nous, des habitués de la série depuis notre plus jeune âge, mais je vais vous demander un petit exercice de pensée :  imaginez-vous n’avoir jamais touché un jeu Pokémon de votre vie et vous décidez subitement d’en essayer un au hasard, avec votre regard d'adulte. Vous lancez la partie, lisez les quelques lignes de dialogues introductives (notez que les “quelques lignes de dialogues” seront à relativiser selon l’ancienneté de la version choisie) et vous arrivez devant le choix de votre Pokémon de départ.

Maintenant répondez avec honnêteté à ces 3 questions :

  • Pourquoi voudrais-je un Pokémon ?
  • Pourquoi irais-je faire le travail du professeur local ?
  • Pourquoi voudrais-je participer à un championnat pour devenir le meilleur dresseur du coin ?

Si à ces trois questions vous me répondez “Parce qu'il y a rien d'autre à y faire” eh bien vous avez tout à fait raison. 

C'est quelque chose dont Game Freak a manifestement pris conscience, car depuis la 7G votre aventure est systématiquement encadrée par un événement particulier qui a lieu dans la région : le Tour des Îles d'Alola, le Défis des Arènes de Galar et la Chasse au Trésor organisée par l'Académie de Paldea. Avec cet ajout, les jeux d’Ohmori souffrent un peu moins du syndrome “Va chercher un Pokémon chez le prof et casse-toi de ton bled paumé” que ses prédécesseurs, même si ce problème persiste encore aujourd’hui car bien qu’on ait un semblant de cadre pour nos aventures, celui-ci reste très léger et ne résout pas les problèmes de caractérisation de votre personnage.

Et c'est justement là tout le paradoxe de l’écriture de Pokémon : malgré une volonté affichée des développeurs à rendre cet univers crédible, le monde de Pokémon reste, et ce depuis toujours, en surface et peut très facilement paraître comme artificiel. Et pour cause : il l’est !

C’était quelque chose que l'on pouvait observer dès la fin discours du Prof. Chen au début de Rouge et Bleu : vous voyez le sprite de votre personnage se faire miniaturiser dans la chambre de Red. 

L’idée qu'illustre cette introduction est que vous n'incarnez pas vraiment un personnage établi dans ce monde, même si ce dernier possède un semblant de famille, mais plutôt que vous, joueur, êtes catapulté dans un univers où Red n'est rien d'autre qu'un vaisseau pour parcourir cet espace de jeu. Tous les avatars qui lui succéderont seront bâtis sur ce modèle de personnage muet au caractère mal défini.

Il faut bien comprendre que le mutisme de votre avatar ne constitue pas un défaut en soi. Son principal intérêt, dans les jeux qui ont recours, c’est de mettre l’emphase sur ce qui entoure l’avatar : les environnements, les intrigues et les personnages. Mais hélas, la série présente des lacunes sur ces deux derniers points.. 

Parmi les techniques narratives que la série emploie, l'une qui est fréquemment utilisée et qui est assez révélatrice de ces lacunes est celle du dialogue avec une réponse à choix multiples.

Sur le papier c’est une très bonne chose de laisser au joueur la possibilité de choisir ce qu'il va répondre mais plusieurs problèmes :
Déjà historiquement parlant les réponses sont restées, jusqu’à la fin de la cinquième génération, un simple “Oui” ou “Non” ce qui limitait déjà grandement les interactions possibles. En plus de ça, le simple fait de dire “Non” avait pour effet dans 90% des cas de recommencer le dialogue jusqu’à ce que vous disiez “Oui”.


Les 90% des cas en question

C’est à partir de la 6G où on a enfin été soustrait à cette limitation du “Oui" ou "Non”, mais est-ce que ça permis une plus grande liberté dans le choix de réponse ? Eh bien… pas vraiment. C'est même devenu pire qu’avant puisque la grande majorité d'entre eux ressemble maintenant à ça :

"Nabil ?! Qu'est-ce que tu fais là ?"
"Oh, Nabil. T'es là aussi ?"
Vous voyez le problème ?

A ma connaissance, il n'existe dans la série principale qu'un seul et unique dialogue qui est modifié en fonction d'un choix de réponse qui a eu lieu avant l'échange en cours : le discours final de N à la fin de Noire et Blanche. Celui-ci change en fonction de la réponse que vous lui donnez lors de votre rencontre à la Grotte Électrolithe. 

C’est peu. Bien trop peu.

Maitre Viejie me souffle dans l'oreillette que cette information est inexacte. Effectivement, dans Ecarlate et Violet durant l'entretien que vous passez avec Cayenn avant d'affronter le Conseil 4, cette dernière vous demande quel est votre Champion d'Arène préféré. Dans le DLC Le Disque Indigo vous pouvez inviter des dresseurs dans le Club de la Ligue. Si vous invitez le Champion que vous avez désigné comme étant votre préféré, celui-ci aura un dialogue unique pour vous remercier.
Sympa comme détail. Mais ça reste toujours bien trop peu.

Donc vous l’aurez compris, Game Freak cultive une forme de dialogue à choix multiples qui n’a aucune incidence sur l’histoire ou votre relation avec les PNJ et qui n’offre qu’une liberté de réponse très pauvre, car les réponses sont quasiment identiques.
Mais alors pourquoi conserver ce gimmick ? Eh bien tout simplement pour donner au joueur l’illusion qu’il participe à ces dialogues et pour ne pas les ressentir comme des phases passives où on le tartine d'exposition.

Qu’on soit clair : Pokémon est loin d’être la première série de RPG à posséder ce genre de défaillance narrative, mais elle fait partie sans conteste de l’une de ses représentantes où elle est la plus flagrante, surtout au vu de son ancienneté.

Et malheureusement, comme on l'a dit précédemment, le volume textuel des PNJ a explosé au fil des générations ce qui fait que ces phases de dialogues deviennent très rapidement une corvée à supporter. Corvée d’autant plus contraignante à supporter car cela fait déjà plusieurs années que Game Freak n’apporte pas un grand soin à la mise en scène de ses dialogues.

D’ailleurs on va en profiter pour ouvrir une “petite” parenthèse à ce sujet.



Quand on s’intéresse aux fers-de-lance des RPG de l'ère 8-bits et qu’on les compare à leurs représentants modernes, un constat s’impose : ces derniers avaient originellement une implémentation assez basique des dialogues. Les priorités de développement de l'époque étaient mises sur les mécaniques de combat et d'exploration qui représentaient le cœur de l'expérience. Non pas que le scénario soit considéré comme un élément négligeable mais plutôt que les limitations techniques de leurs supports ne leur permettaient pas de faire des folies. C'est à partir de la génération 16-bits que les choses vont commencer à changer. Avec les capacités plus puissantes de la Super Nes et la Mega Drive il était devenu tout à fait faisable de mettre en scène les dialogues à travers différentes techniques. Ces dernières ont grandement facilité l'émergence de RPG au scénario plus développé à tel point que les priorités de développement se sont progressivement inversées, et les phases narratives, donc les dialogues, sont devenues le cœur de l'expérience que proposent la plupart des RPG modernes.

Pokémon est une série qui a un peu souffert de cette transition. 

Durant la première et deuxième génération, la mise en scène des dialogues était économe à cause des limitations techniques du Game Boy qui était aussi une console 8-bit. On notera tout de même un effort fort appréciable, car pas du tout nécessaire, d’animer les rencontres avec les dresseurs adverses avec cette petite animation où le PNJ a un [!] au-dessus de sa tête avant de se rapprocher de vous pour taper la discute et déclencher le combat.

La troisième génération a marqué les débuts de la série sur Game Boy Advance, qui est donc une console 16-bit. On aurait été en droit de s’attendre à ce que la série évolue pour apporter un peu plus de mise en scène à ses dialogues, mais les ajouts restent assez mineurs. Parmi ces ajouts on retrouve le déplacement des PNJ pendant les dialogues (ce qui reste tout de même assez rare), notamment le recul d'une case en arrière pour illustrer la surprise du personnage, ou l'effet de tournoiement très rapide avec un effet sonore qui propulse le Maître des Pièges hors de l'écran à la fin de ses dialogues pour donner un effet comique.
Enfin l'icône [!] sera utilisée plus fréquemment en dehors des combats pour illustrer également la surprise. D'ailleurs elle a été rejoint par une icône [♡] et une icône [?], mais ces dernières sont gravement sous-utilisées car la première est exclusive au public des Concours Pokémon, et la deuxième à l'événement du vol du sous-marin de Poivressel.

La quatrième génération ne fera aussi que des ajouts assez timides. Vite fait quand votre rival vous percute vous avez droit à une police d'écriture unique pour illustrer l'impact.

 Et ça fait Bim Bam

La série est donc restée assez figée dans sa mise en scène mais c'est là qu'arrive la cinquième génération. Dans sa volonté affichée de renouveau, les versions Noire et Blanche ont apporté un certain nombre de choses pour dynamiser leurs dialogues. Un soin particulier a été donné aux animations des sprites des PNJ : le déplacement des personnages pendant qu'ils parlent est bien plus prononcé, ou ont des animations qui leurs sont propres, comme le réajustement du chapeau de Bianca ou le secouage de tête de N qui permettent d’exprimer différents sentiments. Ces jeux jouent aussi pas mal sur la boîte de dialogue. Là où il était rare que le texte utilise des majuscules, ici quand un personnage est énervé il parlera souvent en majuscules, et ça se traduit aussi par un effet sonore et un changement d’apparence de la boîte pour illustrer un cri.

Enfin des ajouts que je trouve très intéressant car ils semblent suggérer une tentative de rapprocher la série Pokémon des Visual Novel : les appels via le Vodkit et quelques échanges avec N présentaient des dialogues illustrés avec des sprites des personnages beaucoup plus détaillés et animés.

Malheureusement ces ajouts là, qui auraient pu être annonciateur d'une évolution profonde de la série dans sa manière de mettre en scène les dialogues, ne reviendront pas dans les générations suivantes.

Le passage à la 3D complète pour les décors et les personnages à partir de la sixième génération n’a pas apporté grand chose à la mise en scène, car bien que les dialogues ont maintenant des changements de caméras, les personnages, eux, sont bien trop statiques dans leurs interactions avec le décor ou même simplement entre eux pour animer le dialogue. 


Un problème qui persistera dans tous les opus 3D jusqu'à aujourd'hui

La solution aurait pu être de partir sur une direction semblable à celle de Persona 3 et 4, ou pour rester du côté de Nintendo, de Fire Emblem Awakening (2012) qui consiste à mettre en scène les dialogues avec des artworks 2D des personnages, en jouant sur les expressions du visage pour véhiculer les émotions, et animer légèrement les modèles 3D pour tout ce qui n'est pas possible de montrer avec les artworks.

Cette alternative a aussi pour avantage d'invisibiliser la relative laideur des modèles 3D des personnages, et en particulier leur expressions souvent figées.

Enfin la dernière chose qui manque cruellement aux dialogues dans Pokémon, c’est du voice acting. Si on pouvait largement excuser leurs absences sur les jeux des cinq premières générations en raison des limitations de leurs supports (et encore, il y aurait pu techniquement en avoir déjà sur les opus DS !), arrivé aux opus 3DS et Switch, cela devient proprement incompréhensible. 

On a quand même eu droit à un trailer avec un perso d'EV doublé alors qu'il n'y a pas de doublage dans EV

Je ne demande pas à ce que tous les dialogues du jeu soient doublés en Japonais/Anglais/Français/Chinois/Coréen/Espagnol/Portugais, mais au moins pour les principaux (et là je me montre très tolérant, car dans une réalité alternative où la direction de Game Freak aurait pour ambition de faire des jeux bien finis et à la hauteur du statut de la licence la plus lucrative au monde, un doublage intégral serait le minimum syndical). C’est d’autant plus incompréhensible car les personnages des jeux Pokémon existent aussi en dehors de ces derniers avec le dessin animé, donc c’est une tâche qui pourrait aisément être déléguée à Creature Inc.

Fin de parenthèse

La quête du Pokédex

Attrapez-les tous ! Voilà le slogan qui a marqué toute une génération en éveillant ses bas instincts complétionnistes. Mais avant d’être dévoyé par le marketing pour en appeler au complétionnisme des consommateurs, le Pokédex partait d’une ambition naturaliste. On capture des Pokémon pour remplir une encyclopédie. 

Dans Pokémon Légendes Arceus, cette quête peut paraître un tant soit peu crédible car les humains et les Pokémon ne vivent pas encore totalement en harmonie, mais arrivé à l’époque moderne, elle le paraît beaucoup moins : les combats de Pokémon sont une pratique sportive internationale avec des institutions comme la Ligue et les Arènes étant établies depuis au moins plusieurs décennies. Comment est-il possible que personne avant le Professeur Chen n’ait eu l’idée de recenser l’intégralité de ces créatures ?
Et cela soulève une autre interrogation : Comment diable fonctionne cet appareil ?
Est-ce que c’est le joueur qui écrit les descriptions dans le Pokédex en se basant sur ses observations ? Cela expliquerait certaines descriptions absurdes sur la vitesse et la force de certains Pokémon, qui seraient en fait une exagération du joueur.
Mais si c’est le cas, est-ce une bonne idée pour un chercheur de confier l'activité d’un éthologue à un gosse qui sort de primaire ? 

Évidemment que non. Si le Pokédex était un outil vraisemblable, alors toutes les informations concernant les Pokémon seraient accessibles dès le départ en scannant le Pokémon rencontré dans les hautes herbes; ou en écrivant un nom dans un moteur de recherche (cela arrive plusieurs fois dans l’anime). Il serait aussi quasiment complété dès le départ modulant deux-trois Pokémon rares ou Légendaires. Mais l’absurde fonctionnement de cette encyclopédie a un sens d’un point de vue du gameplay : elle est là pour nous intéresser à la recherche, la capture et l’élevage de Pokémon.

Là aussi Game Freak s’en est manifestement un peu rendu compte, puisqu'au fil des épisodes la quête du Pokédex sera de moins en moins mise en avant : de la suppression du slogan des boîtes à partir de la 3G (qui coïncide avec le fait que c'était la première génération qui bloquait la connectivité avec les jeux précédents et empêchait donc les joueurs de récupérer leurs anciens Pokémon, bien avant le tollé qu'a provoqué cette même décision pour les opus Epée et Bouclier) jusque dans Écarlate et Violet où le Pokédex est devenu une simple application à installer dans le Motismart. 

Le Rival

Pokémon Émeraude > Combats contre le Rival

Dans une fiction, un rival est un adversaire régulier du protagoniste qui le motive à s’améliorer et par extension permet au rival de grandir et de s’améliorer. Pokémon a érigé ce trope narratif en véritable tradition, et chaque génération a le sien.
Comme on l’a dit précédemment, ils ont pour rôle mécanique de nous apprendre comment progresser dans les combats en nous faisant affronter une équipe équilibrée, et donc subtilement nous inviter à faire la même chose. 
Si une faible minorité d’entre eux possède une importance très mineure dans les enjeux de l’histoire, à savoir ceux de la 3G et la 6G, la grande majorité d’entre eux sont liés à cette dernière et incarne une partie de son propos.

Etant donné qu’on les a déjà un peu abordés dans notre précédente dissection quand on abordait la notion d'opposition, ainsi que dans la partie dédiée à Tajiri, on ne va pas trop s'étendre sur eux ici. On abordera davantage leurs spécificités dans la partie suivante.

La quête des badges

Pokémon Diamant et Perle > La Carte Dresseur - Pokébip.com

Si la complexion du Pokédex est l'objectif de base énoncé dès les premières minutes du jeu, celui-ci passe au troisième plan à partir du moment où les Arènes entrent en scène. Mécaniquement, elles servent de balises à votre progression afin de mesurer vos capacités face à des boss qui sont évidemment plus puissants que les nombreux gamins en short que vous avez l’habitude de racketter le long des routes.
Dans les premières générations, ces Champions n’avaient aucune autre forme d’interaction que le combat d’arène, mais petit à petit ils ont auront de vraies fonctions et interviendront davantage dans le scénario, en particulier ceux d’Unys. De manière globale, chacun d’entre eux peut être vu comme une sorte de personnalisation de leurs villes : Pierre pour Argenta et son musée de fossiles, Adrianne pour les sources chaudes de Vermilava, Tanguy pour les routes solaires et le phare de Rivamar, etc… Il y a toutefois 2 exceptions notables à cette vision et ce sont les 2 champions de Jadielle : Giovanni et Blue. Ils n'ont pas vraiment de liens avec la ville mais ils sont liés à elle comme étant le dernier obstacle que vous devez surmonter pour atteindre la dernière étape de votre voyage.

La 7G tentera de créer un nouveau concept en retirant les arènes pour y proposer des épreuves avec un Pokémon sauvage en tant que boss, mais cela reste toutefois assez anecdotique et ne change pas fondamentalement cet élément de la formule. En plus de ça, les Doyens des îles d’Alola que vous affrontez régulièrement ne sont rien d'autres que des Champions avec un nom différent. 

Une fois les huits badges obtenus, vous pouvez défier le Conseil 4 et le Maître de la Ligue Pokémon qui constituent le challenge final. Ce sont les adversaires les plus retors du jeu. Un élément récurrent dans leur conception est qu’ils utilisent des Pokémon rares ou les stades finaux de Pokémon que vous n’avez peut-être jamais croisés au cours de votre périple. Par exemple, Cynthia est l'unique dresseuse de Sinnoh à posséder Spiritomb, Togekiss, Milobellus et Carchacrok. La méconnaissance de votre adversaire et son niveau élevé crée un sentiment de tension qui vous place dans la peau du challenger prêt à relever un grand défi. 

D’ailleurs puisqu'on parle du Maître de la Ligue…

Il existe une zone d'ombre sur le rôle du Maître et de la Ligue Pokémon de manière générale.

A la fin de Noire et Blanche après sa victoire sur Goyah, N le nouveau Maître de la Ligue Unys déclare ceci :

"Je suis le Dresseur suprême d'Unys ! Et en tant que tel, j'édicte une loi nouvelle. Tous les Dresseurs doivent rendre leur liberté aux Pokémon !!!"

Est-ce que le Maître d'une Ligue possède une autorité politique sur sa région ou est-ce un délire mégalo de N ? Cela n'a jamais été abordé dans les jeux précédents, ni dans ceux qui ont suivis. Est-ce une spécificité d'Unys ? C'est pas un peu dangereux ,comme moyen de désigner un chef ?

Gaius, expert en darwinisme social et 1er fournisseur de Memoquarts d'Eorzea depuis 2013
“Lorsque la poussière des combats retombe, l'avenir des faibles est décidé par les forts !”

Mince même ici il revient me hanter

Plus sérieusement, on peut en effet se questionner sur les réels pouvoirs que ces organisations possèdent au sein de l’univers des jeux.
Dans la 2G, Peter intervient pour déjouer les plans de la Team Rocket au Lac Colère, mais il semble être là juste à cause de rumeurs donc il n’est probablement pas là en mission pour le compte de la Ligue. Ou alors il est juste passé faire un coucou à sa famille d’Ébènelle et s’est rendu à Acajou qui est juste à côté ? Mystère.
Dans la 3G Pierre Rochard et Marc ne sont pas vraiment très actifs dans le scénario. Pierre cherche ses… pierres et Marc reste tranquille à Atalanopolis, et même quand les dieux de la Terre et de la Mer se foutent sur la gueule chez lui à environ 7 cases de son arène il faudra tout de même aller le chercher au fond de la grotte où il… heu… je sais pas… cherchait un coin pour échapper à l’apocalypse ?
En 4G Cynthia intervient fréquemment dans l'intrigue pour questionner les activités douteuses de la Team Galaxie, mais étonnamment n'interviendra véritablement qu'aux Colonnes Lances. Elle faisait quoi pendant que les sbires d'Hélio génocidaient des Magicarpe ? 

Cette assimilation de la Ligue et des Champions d'Arènes à des protecteurs de la région est en fait un élément hérité du manga Pokémon La Grande Aventure où ils ont effectivement un rôle.


Enfin protecteur de la région… le Peter du manga voulait quand même éradiquer l’humanité 

Les versions Noire et Blanche ont tenté d'introduire cet élément au canon des jeux, mais Masuda a effectué un rétropédalage dès les suites Noire 2 et Blanche 2 où les Champions d'Arènes redeviennent bien plus passif à l'exception de Tcheren et Watson.

L’introduction de Beladonis et de la Police Internationale à partir de Platine semble confirmer cette volonté des scénaristes à vouloir séparer le Conseil 4 de toute activité visant à intervenir dans la protection du Pokémonde.
Au final, ce sont la 8G et 9G qui donneront la représentation moderne du fonctionnement de la ligue comme étant une administration qui régulent les tournois, les écoles et qui sont en partenariat avec toutes sortes d’entreprises qui gravitent autour de l’activité de dresseur. 

Dans tous les cas, la ligue existe donc pour servir de témoin de votre maîtrise du système de combat et c’est sur votre victoire et votre sacrement de Maître que le jeu se termine.
Mais est-ce que cela représente le mieux les thématiques de la région dans laquelle vous avez voyagé ? Et qu’en est-il de votre lutte contre les antagonistes ?

La Team d’antagonistes

En dehors de votre rival et des Champions d'Arènes, il s'agira de votre interaction principale au cours de votre aventure. Ces organisations malhonnêtes ont été pendant très longtemps la colonne vertébrale du scénario des différents opus de la saga.

Votre lutte contre ces organisations peut se résumer à de petits affrontements sporadiques contre de nombreux sbires, qui ont hélas la personnalité à peu près aussi développée que la boîte crânienne d’un nouveau-né, puis occasionnellement contre des admins qui mènent des opérations quelconques et enfin le leader. 

Les leaders sont généralement les plus liés à la thématique principale d’une génération puisque leurs buts, allant du trafic de Pokémon à la grosse mégalomanie, auront souvent pour conséquence de réveiller le Pokémon Légendaire mascotte du jeu. C’est sur cet affrontement final contre le leader et la capture du Légendaire qui bouclera les enjeux, généralement entre la septième et la huitième arène.

Ici la question qu’on pourrait se poser, c’est pourquoi ce n’est pas sur cet affrontement que se conclut votre aventure ? Parmis tous les antagonistes de la saga, seul Ghetis dans Noir et Blanc, Percupio dans Légendes Arceus et dernièrement, celui d’Ecarlate et Violet sont les derniers affrontements de leurs jeux respectifs. Le problème avec cette Team, qui implique donc l'existence d'un leader antagoniste, est justement la redondance de ce dernier avec le Maître de la Ligue en tant qu’apogée dramatique. Comme le Maître est censé incarner narrativement et ludiquement parlant le dresseur ultime de sa région, le leader antagoniste ne peut donc pas être plus fort que lui à moins qu'il y ait une justification crédible à cet état de fait, comme par exemple Goyah le maître d'Unys dans Noir et Blanc qui n'est plus au top de sa forme et se fera donc balayer par le Dragon Légendaire de N. 

Cette apogée dramatique qui intervient avant la fin du jeu pose également problème au niveau de la progression. En effet, une fois cette apogée atteinte il devient assez difficile de retourner à une exploration plus classique et à des affrontements randoms, d'autant qu'arrivé à ce stade du jeu votre équipe est censé être complète, ce qui fatalement provoque une baisse de votre implication émotionnelle dans votre partie avant qu'elle se termine : les versions RSE, DPP, N2B2, XY, (U)S(U)L sont toutes touchées par ce phénomène.


A titre personnel, quand je vois cette route, après avoir terminé les évènements du Mont Couronné, j’ai fortement envie d’arrêter ma partie

Cet élément de la formule a toutefois connu une légère évolution à partir de la septième génération. Se sentant peut-être coupable d’avoir créé Lysandre et la Team Flare, Game Freak décida de transformer ces antagonistes pour en faire des bad guys de deuxième division, parfois même pas véritablement mauvaise, afin de cacher le véritable antagoniste. L’idée n’est pas mauvaise car elle permet d'ajouter une petite dose de mystère (très légère hein, vous cramerez l'identité de l’antagoniste très rapidement) mais le soucis c’est que le temps accordé à ces organisations de secondes zones est ponctionné sur le temps d’écran du véritable antagoniste, et ce qui fait donc moins de temps pour le développer. Et puis faut aussi aborder comment les jeux les mettent en avant. 

Dans Soleil et Lune, la Team Skull essaye de cacher, tant bien que mal, les véritables intentions d’Elsa Mina et de la Fondation Æther, mais faut dire que ces pauvres thugs des tropiques ne peuvent pas faire grand-chose quand le jeu commence avec une cinématique qui ne laisse aucune place au doute.

 
“Puisque je vous dis que nous sommes les gentils ! Maintenant laissez-moi attraper cette gamine de 10 ans”

La Team Yell ne fera hélas guère mieux dans Epée et Bouclier car son intrigue sera bouclée au septième badge, et si elle possède un lien avec la thématique principale de Galar qu’est la crise énergétique, cette dernière n’aura qu’un rôle tertiaire dans l’affrontement final alors qu'elle aurait pu avoir un rôle bien plus important. On reviendra là dessus dans la partie suivante.

Quant à la Team Star d’Écarlate et Violet, son cas est encore une fois assez inégal : sa thématique du harcèlement scolaire est intéressante, bien qu’encore une fois très mal exploitée, mais au moins son leader aura une certaine importance dans l’acte final d'Écarlate et Violet.

D’ailleurs restons un peu sur le premier jeu Pokémon officiel de la saga en open world, mais qui reste derrière Pokémon ROWE qui est le premier (fan)jeu Pokémon en monde ouvert tout court, pour parler de la structure narrative de Paldea.

Un monde ouvert ayant des exigences de design qui diffère d'un monde linéaire, la structure narrative d'Écarlate et Violet est découpée de manière similaire à un Zelda Botw, c'est-à-dire en plusieurs segments indépendants, incarnés par différents personnages et ayant un point de chute étant la confrontation avec le boss final. 

Malheureusement tout comme dans Botw, les quêtes principales de la 9G souffre de cet aspect trop structuré ; L'accès aux boss suit toujours le même schéma, ce qui rend le tout très prévisible.

Maintenant qu’on a vu les grands éléments constitutifs de cette formule faisons un petit bilan.

Cette formule a donc toujours existé. Elle a connu certes de légères évolutions et quelques variations mineures mais on est resté dans cette lignée.

Si on peut difficilement remettre en question sa validité d'un point de vue commercial, puisque les jeux continuent à se vendre comme des petits pains, il est tout à fait légitime de reprocher à la série Pokémon ne pas chercher à renouveler sa structure, car fatalement au bout d'un certain nombre d'opus terminés les ficelles deviennent de plus en plus grosses, et il devient de plus en plus difficile de ne pas finir blasé.

Et ça ce n'est pas quelque chose qui est propre à Pokémon. De très nombreuses séries suivent ou ont suivi une structure narrative très proche opus après opus. Je parlais de Zelda tout à l'heure, et bien il faut savoir que cette série a suivi pendant longtemps le modèle instauré par Ocarina of Time sortie en 1998 pour la grande majorité de ses opus en 3D. Pourtant, vous entendrez rarement des fans de Zelda dire que Majora's Mask, Wind Waker ou Twilight Princess racontent la même chose. C’est parce que la série parvient à apporter à chacun d’entre eux une identité via son esthétisme et surtout via ses thématiques. 

Et ça tombe bien, car c'est aussi ce que fait Pokémon. Avant de conclure cette courte dissection on va donc parler des grandes thématiques de la série Pokémon.

Partie 1 : Les auteurs du Pokémonde <=                 => Partie 3 : Les Thématiques

Par Dremaak
Edité par DeadSpark
  • Pavel 12/04/2024 à 21:44
    "[...] que les nombreux gamins en short que vous avez l’habitude de racketter le long des routes."
    'tain, ça m'a tué, merci xD !

    Très intéressant, du reste : )